Sur le fil

N° 322 / Essai libre

Le hip-hop avec des gants blancs

Réflexion sur la dépolitisation et l’éclaircissement du hip-hop lors de son passage dans la culture de masse.

«Tabarnak. Il vient de l’dire.» Il l’attendait. Il le sentait arriver. Le rappeur Lovhard «Le Voyou» Dorvilier le sentait arriver, ce «l’». La scène, filmée par Maryse Legagneur, est torturante. On y voit Le Voyou s’infligeant le visionnement de l’émission Les francs-tireurs, à laquelle il a accordé une entrevue; il la regarde dans un pawnshop, ou peut-être dans un de ces commerces où tout se répare. Mais la courbe narrative se déroule surtout dans son regard, dans ses yeux écarquillés qui n’accordent pas le bénéfice du doute à quiconque. Un peu, aussi, dans la gêne du type assis à la droite du rappeur: «Quoi? Il a dit ça? Non… Arrête…» Il ne l’a pas entendu, lui, parce qu’il ne l’attendait pas; il ne voulait pas l’entendre parce qu’il n’avait pas besoin de l’attendre.

Avant de le dire, Benoît Dutrizac, l’animateur, avait jusque-là pesé ses mots. C’était plutôt dans son ton, ses questions, sa posture, quelquefois ses mains, ses hésitations, même, que s’exprimait son mépris.

— Tantôt, là, on était dans un parc, pis y’en a deux [Noirs] qui sont arrivés, qui nous ont parlé comme s’ils avaient une autorité sur nous.

N° 323 / Économie

Rebâtir les fondations

Décloisonner la maison pour reconstruire les liens que le capitalisme a consumés.

Depuis le début de la journée, Marilou pleure. Elle est inconsolable. Après s’être séparée et avoir vendu la maison d’une valeur de 899 000$ qu’elle possédait avec son ex-conjoint, la femme de 28 ans a fait démolir l’intérieur de sa nouvelle demeure, du reste en remarquable état, afin de la remodeler au goût du jour. Mais la livraison du nouveau plancher accuse du retard et son déménagement est prévu pour dans exactement trois semaines.

Quelques mois plus tard, en plein cœur de l’été 2018, la nouvelle égérie québécoise de l’art de la table, esthète passionnée par les déclinaisons de blancs, fait part de ses réflexions philosophiques sur son compte Instagram: «Faire du ménage, trier, épurer, offrir tout ce que je n’utilise pas et me donner la peine de réfléchir avant d’acheter quoi que ce soit de nouveau me fait tellement de bien. […] j’ai envie d’utiliser la petite voix que j’ai via @troisfoisparjour pour donner des idées et promouvoir un Noël minimaliste et le plus écologique possible dans quelques mois, autant pour la maison que dans la cuisine (yum).»

Il faut sans doute nous méfier de ces marchands qui semblent suggérer que notre qualité de vie dépend de l’agencement de notre tablier au fini de notre comptoir de cuisine quand ils disent aspirer à faire la promotion d’un mode de vie «le plus écologique possible». Mais ce serait oublier que Marilou ne représente qu’une simple tendance de plus dans l’univers de la consommation de masse. Et que le capitalisme s’accommode de tout, même des préoccupations environnementales, pour autant que celles-ci ne freinent pas l’envie que nous, simples consommateurs, avons de nous ruer vers les produits que le marché a à écouler. Nous achèterons la nappe en lin naturel et le plat à tarte en grès, jusqu’à ce que le minimalisme bohème que vend la marque Trois fois par jour soit à son tour détrôné par la mode que réussira à imposer dans nos demeures le prochain Ricardo.