Critique – Littérature

Moonshot: la présentation d’un futur alternatif

Que l’on pense à Tintin en Amérique, Indian Chief, l’album Canyon Apache de la série Lucky Luke ou certains numéros de DC Comics (je pense notamment aux numéros Superman Indian Chief et Batman Indian Chief), le genre de la bande dessinée populaire a largement contribué à diffuser et à standardiser une vision édulcorée, homogénéisante, souvent raciste et réductrice des Premiers Peuples, de leurs cultures, de leurs savoirs et de leurs réalités historiques et contemporaines. Parmi les représentations dominantes des Premiers Peuples les plus exploitées et commercialisées et qui captivent les esprits depuis plusieurs siècles au sein de la littérature, le mythe de l’authenticité demeure un carcan omniprésent. Généralement dépeints en tant que reliques historiques et comme étant isolés, statiques et figés dans un espace et un passé lointains et perdus, les Premiers Peuples sont fréquemment représentés comme étant torturés entre deux mondes incompatibles, l’un traditionnel, essentialisé et idyllique, et l’autre moderne, industrialisé et tendu vers le progrès. Dans ce cadre narratif, tout dynamisme culturel des Premiers Peuples est perçu comme une dégradation, une assimilation ou une extinction culturelle. Ces représentations littéraires ne sont pas uniquement issues d’une méconnaissance, d’une ignorance ou d’un univers artistique ou esthétique de divertissement, mais sont bien politiques et produites au sein d’un contexte idéologique colonial et impérial. En effet, selon John Rieder dans Colonialism and the Emergence of Science Fiction (2012), ces imaginaires littéraires et esthétiques «ont évolué au sein du projet de colonisation des cultures et des territoires non européens par l’Europe occidentale du XVIIIe siècle à aujourd’hui [je traduis]». Le roman de science-fiction transpose les structures hiérarchiques coloniales et les grandes divisions du monde entre civilisations colonisatrices et populations colonisées. Toujours selon Rieder, les notions de degré civilisationnel, d’évolution et de progrès technologique deviennent alors centrales au développement narratif du roman. Que l’on songe aux invasions extraterrestres ou à la conquête d’autres planètes inexplorées par les civilisations humaines, l’avancement technologique et les rapports coloniaux sont centraux au récit du genre alors que le plus civilisé devient le conquérant et le plus «barbare» le conquis.

C’est dans ce contexte littéraire qu’apparaît le recueil Moonshot: The Indigenous Comics Collection. Issu d’une collaboration entre plusieurs écrivains et illustrateurs inuit, eeyouch, anishinaabeg, métis, caddos, dakotas, suquamish, tlichos et canadiens, l’ouvrage donne la parole à une diversité d’auteurs, tels Jay et Joel Odjick, Claude St-Aubin, Ian Ross et David Mack. Moonshot: The Indigenous Comics Collection, en tant que projet artistique et politique, contribue, de par ses choix esthétiques, sa structure narrative et ses thématiques, à remettre en question les mythes qui ont colonisé et colonisent encore l’imaginaire populaire. Les artistes de Moonshot se sont plutôt engagés dans un processus dynamique de création et de réimagination des espaces artistiques et identitaires autochtones.

D’abord, l’ouvrage met en scène des personnages autochtones complexes dont les actions sont au centre de l’histoire. À titre d’exemple, le recueil débute avec une histoire de David Mack, auteur et illustrateur cherokee reconnu pour son roman graphique Kabuki et pour son travail dans la série Daredevil. L’auteur y présente le personnage d’Echo, ou Maya Lopez, issu de l’univers Marvel. Maya est une jeune fille sourde qui transmet ses idées par le dessin et le geste. Durant les premières pages, Echo nous raconte, par un collage de croquis, d’images, de mots éparpillés et de messages décousus, comment, privée du sens de l’ouïe, elle a appris à entrer en communication et en interaction avec son monde. Au fil de son apprentissage, Echo rencontre The Chief,un vieil homme de la réserve respecté par son père qui raconte des histoires sur le pouvoir et les responsabilités. Durant leurs échanges, il lui enseigne le langage des signes et à devenir une conteusepar ses propres moyens et son propre langage. L’histoire nous amène à réfléchir sur l’importance de la transmission des récits et du respect des autres, mais aussi des sens, de l’observation et du langage des gestes.

David Bernard est enseignant en histoire à l’Institution Kiuna et agent de recherche au Bureau du Ndakinna du Grand Conseil de la Nation Waban-Aki.

N° 321: Premiers peuples: cartographie d’une libération

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