Oblomov et Bartleby
Incapable de m’y soumettre, de me livrer à ce qu’il représente, j’ai néanmoins toujours adoré le mot farniente, ce composé du verbe faire et du substantif rien qui s’est glissé dans la langue française depuis l’Italie du dix-huitième siècle et pour un peu grâce aux pièces de Goldoni créées au théâtre San Luca de Venise en 1761 et 1762 qui mettaient en scène des bourgeois de Livourne allant passer un été de vacances tyrrhéniennes à ne rien faire, sinon à se ruiner en frais de table, de tailleurs et de jeux.
Goldoni, joyeux forçat des planches, galérien volontaire qui ramait presto d’une pièce à l’autre (pour la saison 1750-1751, il a réussi le pari d’en signer et d’en faire jouer seize!), écrivit ces pièces de vacances, dites «la trilogie de la villégiature», pendant une convalescence forcée, passée à Modène, et, comme il l’écrira en français dans ses Mémoires d’octogénaire, «dans les intervalles de mes vapeurs à Milan». Ces Mémoires sont des annales sincères et suaves (Aubier, 1992, un Tiepolo orne la couverture – un couple dansant un menuet dans un jardin vénitien) et il s’étonne du succès que connurent Le Smanie della Villeggiatura, Aventure della Campagna et Il Ritorno della Campagna car, pour lui, qui ne s’en cachait pas, se moquant des sigisbées de plage, il ne voyait pas grand intérêt dans «cette Comédie» sinon «dans les détails de la galanterie». Il expliquait ainsi son truc dramaturgique: «la promenade fournit des rencontres de hasard, qu’on prend pour des rendez-vous»…
On peut donc chérir un mot comme celui si musical de farniente, qui eut d’abord son trait d’union pour en allonger le charme, far-niente, sans pratiquer ce qu’il signifie, sa réalité objective, une non-activité programmée. Autant vous le dire, je n’ai jamais été capable de rester là, comme ça, hébété, paresseux, alangui, à ne rien faire… N’allez pas croire pour autant que je sois l’un de ces workaholic qui se vouent à la tâche et s’en félicitent devant les collègues à la pause-café car jamais, pour moi, le travail n’a été, ne sera, ou n’est un boulot; sans être un bourreau de travail, mon affaire c’est, tout simplement, que j’aime travailler… j’ai en effet cette fureur, la smanie del lavoro…