Existe-t-il un héritage américain?
Nebraska, le dernier film d’Alexander Payne, suit le voyage de David et de Woody Grant, un homme dans la trentaine et son père, ancien alcoolique légèrement sénile. Le vieil homme croyant dur comme fer à une publicité lui annonçant qu’il a gagné un million de dollars, il ne démord pas du projet d’aller collecter son prix en se rendant depuis sa ville du Montana jusqu’à Lincoln au Nebraska. Devant l’entêtement de son père et l’exaspération que ce dernier provoque chez sa mère, le plus jeune de leurs deux fils décide de l’y conduire.
Nebraska est habité par un doute d’une intensité singulière. Le film est en effet organisé par la question de savoir si, aux États-Unis, quelque chose comme un héritage peut exister. De manière remarquable, ce scepticisme est tenu tout au long du film, sans que l’abîme qu’il ouvre soit immédiatement rempli par des images toutes faites d’un legacy stéréotypé. Cette incertitude est avant tout mise en scène au sein de la famille, le film s’attardant notamment sur la pauvreté matérielle des Grant. Mais cette pauvreté est profondément aggravée par le fait que le seul imaginaire disponible soit celui de l’argent dans sa forme la plus brute et la plus littérale: avoir de l’argent et en dépenser. Les personnages mis en scène dans le film ne sont pas seulement pauvres, ils donnent à voir un peuple déshérité. L’idée que rien ne peut être transmis lie ainsi des enjeux familiaux à un questionnement collectif, national et culturel.
Le film convoque en effet les piliers de l’imaginaire fondateur de l’Amérique et possède à ce titre toutes les composantes d’un monument à «la foi dans les États-Unis comme pays d’exception», pour reprendre les mots de Susan Sontag. Mais tout horizon de rédemption, toute promesse d’un Nouveau Monde effectif ont disparu de ce road movie désenchanté d’une manière si radicale que le cinéma, médium pourtant si profondément associé à un «devenir image» du rêve américain, n’y peut rien. Ce qui est ainsi extraordinairement mis en scène dans Nebraska est la face sombre et infiniment négative de l’utopie américaine entendue comme promesse d’émancipation du poids de la culture, entendue comme ensemble de formes symboliques régulant la vie d’une communauté.