Ces vieux objets que sont les mots
Sauce brune, la pièce précédente de Simon Boudreault, amenait un quatuor féminin à transfigurer la difficulté de vivre et de dire en musicalisant la langue québécoise par l’excès de sacres. Ça se passait entre les quatre employées d’une cafétéria, au sous-sol d’une école secondaire. L’auteur de As is, qui signe à nouveau la mise en scène de son texte, place ses personnages dans un autre lieu de travail sans fenêtre. Il fait monter sur scène des hommes et des femmes qui passent le plus clair de leur temps dans les soubassements d’une succursale de l’Armée du rachat, propriété de communautés religieuses.
Boudreault crée encore une fois sur les planches un espace de parole pour ceux qui, à la ville, n’y ont pas droit, et il le donne ici aux deux sexes. La hiérarchie entre les personnages se déploiera au milieu d’un décor pyramidal, dans une évocation double et ironique du principe de Peter. Tony, alias Antoine Champoux, chat de ruelle et ex-danseur au 281, maintenant big boss de l’Armée du rachat, embauche pour l’été Saturnin Lebel, un jeune intellectuel inexpérimenté, comme «trieur de cossins». Denis Bernard, en inoubliable Tony, dont le jeu met en avant le corps comme présence virile forte, dit donc à celui qu’il vient d’embaucher:
Le stock a juste été crissé là pis c’est resté as is. On sait pas trop comment toute ça tient. En fait, ça tient pas. Le problème c’est que toi t’auras pas le choix de grimper dans l’tas. Si tu commençais par le stock du bas, ce qui est en haut finirait par te tomber dans face. Quand tu grimpes, regarde où tu marches pour pas tomber dans une crevasse de stock. C’est ben maudit, mais un gros toutou peut cacher un trou.