Du cabaret à la SAQ
En Nouvelle-France, les boissons alcooliques font partie du paysage culturel et alimentaire de la vallée du Saint-Laurent. Les habitants de Québec, de Trois-Rivières et de Montréal peuvent se procurer du vin chez les marchands généraux, mais il leur semble plus simple de se rendre au cabaret le plus proche. Sous l’Ancien Régime, le cabaret est en effet un lieu multifonctionnel: à la fois taverne, restaurant et, bien souvent, auberge, on peut aussi s’y procurer de l’alcool «à la pinte ou au pot» pour emporter, comme prévu par la Coutume de Paris. Dans la mesure où l’on recourt abondamment à l’alcool pour se soigner, le cabaret sert aussi à acheter du vin ou de l’eau-de-vie pour soulager divers maux. Consommées telles quelles ou servant d’excipients, ces boissons feront partie de la pharmacopée courante au Canada jusqu’au milieu du xxe siècle et même au-delà.
Aller au cabaret se procurer une mesure de vin implique d’apporter son propre récipient, que le cabaretier remplira à même le tonneau pour 20 sols le pot. On trouve des vins de différentes qualités, et si certains en offrent des plus coûteux, comme le Frontignan, la plupart proposent des vins bon marché. Mais le rouge est le favori du peuple, car le Canadien aime le vin qui «tache la nappe». Pour le même prix, il est aussi possible d’acheter de l’eau-de-vie de vin et de l’eau-de-vie de canne (ou rhum, qui porte alors le nom de guildive) ainsi que, à moitié moins cher, de la bière ou du cidre.
L’État réglemente étroitement la circulation de l’alcool puisqu’il en retire d’importantes taxes. Les boissons alcooliques importées font l’objet d’une grande attention de la part des dirigeants de la colonie. Le fonctionnement des cabarets est encadré en raison des dérèglements sociaux susceptibles de survenir avec l’ivresse, mais l’alcool préoccupe surtout parce que cette denrée génère des revenus substantiels pour le budget colonial. Une partie du coût des fortifications de Québec sera même payée grâce aux taxes sur le vin et l’eau-de-vie acquittées par les «anciens Canadiens».
Catherine Ferland est historienne.