L’invention du cidre de glace
En 2015, le Mondial du cidre, qui n’accueillait curieusement que des cidriculteurs québécois, a eu lieu durant la fin de semaine de la Saint-Valentin, au Complexe Desjardins à Montréal. L’atrium du Complexe a été envahi par des membres de l’industrie cidricole, mais aussi par des connaisseurs et des néophytes curieux de découvrir et de redécouvrir le cidre et un petit nouveau bien de chez nous: le cidre de glace, boisson mariant le sucré à l’acide et créée au Québec à la fin des années quatre-vingt.
Bien que le cidre ait été présent au Québec depuis les débuts de la colonisation, il n’est pas pour autant entré dans les habitudes alimentaires quotidiennes des Québécois. Plusieurs raisons historiques expliquent qu’il soit aujourd’hui considéré comme un produit «nouveau»: les actes de tempérance du milieu du xixe siècle ont par exemple fait décliner la consommation alcoolique générale et celle du cidre en particulier. La vente de cidre à la ferme a ensuite été mise à l’index par l’encadrement légal des alcools jusqu’à la fin des années 1960, laissant penser à tous qu’il était tout simplement interdit d’en produire.
Enfin, lorsqu’en 1969 le rapport Thinel a à nouveau permis la vente de cidre, sa production a connu un tel engouement que, pour répondre à la demande, on y a ajouté des sulfites, la qualité du cidre s’en trouvant alors pour le moins affectée. Les consommateurs se souviennent encore des maux de tête dont ils ont alors souffert, et l’épisode, qui a quelque peu irrité les Québécois, a contribué au déclin de ladite boisson. Il aura fallu attendre la création du cidre de glace pour venir à bout de cette aversion et que s’ouvre l’âge d’or de la cidriculture québécoise.
Anaïs Detolle est doctorante en analyse socioculturelle à l’Université Concordia. Après une maîtrise sur l’identité alimentaire en Provence, elle s’intéresse maintenant à la spécificité du terroir québécois. Son étude de cas est le cidre de glace. Elle cherche à comprendre comment, à travers un produit tel que le cidre de glace, le Québec construit son terroir.
Christine Jourdan est professeure d’anthropologie à l’Université Concordia. Elle étudie les changements alimentaires dans le Pacifique Sud et au Québec.