L’âge mineur

L’amour au temps du juridique.

Je voulais aborder la question du consentement réciproque dans le respect mutuel à une relation sexuelle avec signature. Le bruit courait que la Californie, entre autres avant-gardes, songeait à adopter une loi qui exigerait la signature des partenaires avant le passage à l’acte sexuel génital. Premièrement, je cherchais à déterminer scientifiquement le début d’une relation sexuelle, surtout quand elle est virtuelle, quand elle germe et s’éclot, par exemple, au téléphone et quand il y a coït, saillie, embouquement, emboîtement, copulation, accouplement téléphonique et, de plus, entre quels genders? Ou même tout bêtement au restaurant, quand un genou vous frôle sous la table, signer? Deuxièmement, la question de la signature me turlupinait. Je me demandais si une signature par téléphone intelligent serait valide. Je me demandais si les analphabètes allaient pouvoir se faire reconnaître par une croix. J’ai demandé à mon dépanneur chinois d’apposer sa signature en chinois sur mon journal. C’était juste pour voir. Il a été prudent. Il a refusé. Il lit les journaux lui aussi. Et quand le caissier m’a glissé le bordereau, j’ai contrefait ma signature (main gauche), qu’est-ce qu’on sait? Et si je découvrais qu’il (le partenaire) souffre de phimosis, est-ce que ma signature serait toujours valide? Autrement dit, une fois signé le document, si je découvre qu’elle (la partenaire) souffre d’algopareunie, qu’est-ce que je dois honorer? La douleur ou la signature?

Mais pendant que je réfléchissais, les séminaires, les colloques, les parutions, les aveux sur le thème se sont multipliés, la rougeole s’est mise à progresser à Niagara, l’érection du Phare de Québec est venue transpercer l’hymen céleste de Sainte-Foy: j’ai laissé tomber. Pourtant, on avait pris quelques notes, Doris-Elle et moi, sur l’infantilisation insidieuse des partenaires citoyennes, sur la contamination de la «minorisation». Non pas victime, non. Pire, indécrot­tables mineur·e·s. On convenait, elle et moi, qu’on était d’une autre époque, d’une époque révolue où on assumait, à partir du moment où on quittait la maison familiale, le caractère imprévisible de notre vie de majeures. «Enfin majeure! » En quelque sorte, sans avoir suivi de cours spéci­fiques sur les risques de viol et d’incendie, de panne de moteur et d’extré­misme violent (nous ignorions, bêtement, qu’il y avait de doux extrémismes), nous foncions vers vivre en sachant que nous prenions ce risque-là, de vivre et de mourir au nom du désir de vivre. Nos copines, les unes après les autres, étaient vraiment désolées d’avoir couché avec nos maris. Simplement, ils les avaient fait boire. Nous, on disait: «Au biberon? — Pardon? — Il te faisait boire au biberon?» L’infantilisation avait donc déjà commencé? Se poursuivait? Se poursuit: bien sûr que c’est au biberon qu’on nous fait avaler qu’il y a des extrémismes doux, des sadiques irrésistibles. Aussi irrésistibles que nos parents. Non, je ne l’aborderai pas, la question du consentement mutuel, parce que j’ai déjà été enfant, j’ai déjà été une enfant soumise au sadisme des parents, des éducateurs(trices). On a tous pris assez d’expérience de l’affaire sadomaso dans l’enfance, je ne vois pas pourquoi on courrait après quarante-sept nuances de cette quincaillerie alors qu’il y a cette infantilisation galopante, cette minori­sation extrême qui menace de ne pas trouver son vaccin. Je suis pour l’armement. Qu’on s’arme, femmes, hommes, genders, et qu’on cesse de tirer les larmes parce qu’on s’est fait tirer les cheveux dans le taxi. Qu’on descende des talons hauts. Les escarpins sont des armes redoutables quand tu sais te servir de leurs aiguilles (viser les yeux). «Tais-toi, Suzanne, tu vas devoir suivre un processus de déradica­lisation. — Oh, que j’ai peur! Dans les prisons de monsieur Harper? Attends-moi, je vais boire un coup, attends-moi, attends-moi! Je ne veux pas continuer seule, attends-moi!»

En attendant seule puisque ma copine était déjà engagée dans un processus d’initiation à l’accompagnement des abusé(e)s, 82% des citoyens et citoyennes canadiennes, d’après les sondages, voulaient être protégé(e)s, voulaient que la loi C-51, qu’aucun des répondants n’avait lue, soit coûte que coûte adoptée par le parlement canadien. En attendant qu’on m’arrête – l’amour n’a pas d’âge –, j’écoutais une jeune femme de vingt et un ans me raconter qu’elle avait peur de tout. Qu’elle cherchait à devenir invisible. Invisible? Oui, insistait-elle, invisible: morte. Est-ce que je devais «opérer un signalement à une instance idoine»? Étions-nous filmées? Étions-nous sous la muette vigilance des caméras? Mais elle ajoutait: «D’une mort qui ne serait pas définitive.» Ouf, je pouvais continuer à attendre en lisant les journaux. Plusieurs gros plans de Pierre Karl Péladeau dans les journaux. Sorte de fouilles à nu multipliées du visage, inquisition des rides, des traits, du regard. Mais, me disais-je en attendant d’être emmenée en déradicalisation, ceux et celles qui veulent cet homme d’un désir, désexualisé ou non, ont déjà leur réponse. Ils et elles la connaissent depuis longtemps. Allez, ils et elles sont toutes dans le bonheur épanoui de Julie Snyder, dans son rayonnement, dans son énergie. Julie aime cet homme. Donc cet homme éprouve des émotions, éprouve des convictions. Denise Filiatrault, celle à qui on ne la fait plus, me disais-je en attente de mon arrestation, serait d’accord avec moi, le visage qui parle pour PKP depuis des lustres, c’est celui de Julie. Et j’attendais toujours qu’on m’ait repérée comme radicalisée à déradicaliser. Heureusement, dans cette attente, voilà que je m’étais fait des amis et que j’étais devenue une fan finie d’un documentaire, deux événements.

Suzanne Jacob est écrivaine.

N° 308: Seul ou avec d’autres

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