Descendre en flammes
Je vous assure, Monsieur, que l’épicerie, en notre pays, est une profession bien plus intellectuelle et, surtout, bien plus propre que le journalisme.
— Jules Fournier
Y aura-t-il encore des mouches au mois de juin? C’est la question éternelle de la critique au Québec, qui peut compter sur ses fidèles amies pour se gratter les jambes en plein bois. Tant que ça demeure bucolique, de la nature de carte postale, on ne se formalise pas des fonds de rangs pleins de guêpes et de frelons et de frappabords qui vous arrachent la peau et vous empoisonnent et vous piquent. La critique, on l’aime bien quand elle flatte, sinon son existence nous achale comme les moucherons à la tombée du jour. Ça nous empêche d’apprécier le produit! C’est le rôle que tenait Denis Côté du côté du cinéma lorsqu’il sévissait à l’hebdomadaire culturel gratuit – il est loin le temps où cette expression voulait dire quelque chose! – Ici. Le papier qui lui a valu le bannissement pur et simple des projections de presse d’un distributeur important s’appelait «Ciné-désastre». C’était un encadré savamment foutu en plein milieu du pré-papier, ce léchage de cul prédigéré par les communiqués de presse, pré-papier qui n’abordait pas le navet historique en question, mais laissait plutôt parler la comédienne qui y tenait la tête d’affiche, Noémie Godin-Vigneau. J’ai gardé cet article durant des années, persuadé de tenir là un artefact d’un monde révolu, d’un monde qui n’a en fait jamais existé. C’était l’époque où personne ne voulait savoir ce que pensait Simon Jodoin.
Il est temps d’arrêter de se mentir: personne n’aime se faire piquer par une mouche. Et quand vous êtes cette mouche indésirable, vous finissez par avoir du sang plein la gueule. Quant à Denis Côté, devenu cinéaste après avoir exercé cent métiers, dont celui de roadie pour le band de death metal Suffocation, il n’a plus à pâtir de l’arrogance des donneurs de billets. C’est lui qui vend maintenant son âme au plus grand risque du diable des foules.
Et le poète, une fois qu’il a inondé la ville de ses romans, qu’est-ce qu’il fait? Il va cracher sur les races avec Maurice Dantec en mangeant un Subway? On se croirait dans un western-falafel. Non, le poète revient à la poésie, sa seule et unique délivrance, pour échapper à la réconciliation. Là, en toute poésie, il peut baisser sa garde, car il n’y a là que des mouches. Les rares qui ont tenté de concilier pratique et critique, dans ce domaine, jouent sur la corde raide: on ne les prendra jamais vraiment au sérieux. Celui qui ose juger de la qualité de la production tout en mettant sa saucisse en marché se place en situation de conflit d’intérêts, c’est évident. Sauf si on ne fait pas de la saucisse. Et ça devient de moins en moins courant.
La poésie de Michel Houellebecq traduit une partie de cette exaspération que j’essaie tant bien que mal de formuler en guise d’adieu à la critique. Son style nourri à la névrose des magazines populaires, ce ton télégraphique et inhumain, révèle une lucidité presque insoutenable par rapport aux mécanismes spectaculaires du langage de notre époque. Est-il en cela un poète de génie? Je ne crois pas. Il est, assurément, un être qui souffre de son adéquation à ce monde qu’il déteste. En cela, il est la mouche qui ne veut pas être une mouche.