Highway bookpatrol
Dans les propositions de Daniel Canty, il faut s’attendre à voir surgir la littérature ailleurs, en dehors des pages des livres, comme reposant sur des structures éditoriales poétiques en elles-mêmes. À travers ces formes multimédias et indisciplinées, chaque fois différentes, l’auteur semble prendre la littérature et la publication comme des aventures hors pistes. Ainsi, je n’ai pas hésité une seconde à accepter le pacte des États-Unis du vent, qui se présente comme un carnet de voyage poético-scientifique, les notes d’accompagnement d’un projet artistique collectif. Le livre s’avoue déjà plus petit que l’œuvre; il n’en est que l’une des portes, ouvrant sur un labyrinthe de créations. Après la migration des monarques (voir vectormonarca.com), Canty et son équipe poursuivent cette fois les vents sur les routes états-uniennes, dans un camion surnommé Blue Rider, et changeant chaque jour de direction selon le souffle qu’il fait. Canty note; les vents traversent le livre en fantômes fous. Si insaisissables qu’on en est d’abord déçue. Aussi, on peut poursuivre la lecture ici: venturyodyssey.com, pour les trouver sur des cartes, des photos, des vidéos… et dans les œuvres des autres participants au projet.
La quête peut d’abord sembler futile. À l’opposé des papillons menacés, on ne voit pas trop quelle fable écologique justifie de traquer les vents puissants, qui font tourner les explorateurs en rond et qui s’obstinent à renaître, aux mêmes endroits, malgré le temps et l’action humaine. Non, cet équipage ne cherche pas les vents pour les préserver, mais peut-être plutôt comme on pellette les nuages, pour changer de repères, de route, aimer le monde selon son propre mode d’emploi.
Choisir les vents fous n’entraîne pas le rejet de la civilisation. Ici, tout est citation; le style remplace l’ardeur, même l’action. L’auteur avoue son fantasme d’une grammaire de vie, d’un manuel typographique des attitudes, et son amour des codes menace parfois son projet de dérive. Je lis ce livre comme un protocole de pensée, jolie abolition des frontières entre science et poésie. Canty ne fait pas tant une théorie du vent qu’une cartographie de réflexions sur ce que contient le vide, ce qui occupe l’espace imperceptible entre nous (ces phlogiston «et autres ectoplasmes»). Tout ce que les vents contactent devient objet d’étude: d’abord les villes, les chemins de fer, les bâtiments et autres structures qui lient physiquement les gens entre eux; puis les récits en partage, l’histoire, et tout ce qui fait une culture commune, comme le sport ou les hamburgers. Le véritable objet d’amour, ou de quête, de ce livre n’est pas un phénomène météorologique. Ce serait plutôt quelque chose comme l’âme américaine.