L’économie®

Pour changer le monde, la critique de l’économie devra être radicale.

Ils se disent hétérodoxes, critiques ou même atterrés. Parmi la corporation, une minorité d’écono­mistes capables d’autonomie intellectuelle mène une fronde contre la doctrine autoréférentielle tenant lieu de réflexion théorique dans les écoles de commerce, départements universitaires, médias, groupes d’influence et ministères compétents. Pour donner le change à l’idéologie de la Société du Mont-Pèlerin, de l’École de Chicago ou de la Table ronde européenne, idéologie qu’on retrouve dans des institutions comme le Fonds monétaire international, l’Union européenne et les États signataires d’accords de libre-échange, des acteurs autorisés se manifestent dans les pays riches, de Joseph Stiglitz à Thomas Piketty en passant, ici, par Ianik Marcil et Sylvie Morel, sans parler de moult organisations. En mai dernier, las, quarante-deux collectifs étudiants de dix-neuf pays, soutenus à leur tour par maints économistes de renom, ont publié un manifeste en appelant au renouvellement de l’enseignement de l’économie dans les écoles compétentes, au nom du pluralisme.

En l’occurrence, cette «critique économique» a souvent pris la forme d’une dénonciation nécessaire des constructions sémantiques et notionnelles promues par la doctrine officielle. Les Économistes atterrés signalent par exemple dans leur manifeste que l’endettement des États, contrairement à la propagande quotidiennement réitérée, n’est pas provoqué par une hausse des dépenses, mais par de coûteux plans de sauvetage que les États eux-mêmes ont élaborés au profit des institutions financières responsables de la crise de 2008. L’économiste iconoclaste Frédéric Lordon démontre pour sa part que les entreprises ne créent pas d’emplois mais transforment en situation d’embauche des contextes macroéconomiques de demande sur lesquels ils n’ont que fort peu de pouvoir. Autre exemple, Paul Jorion, qui considère les modalités immunitaires du système financier international permettant le sauvetage d’entreprises multinationales comme des signes avant-coureurs de son effondrement plutôt que comme des gages de sa prétendue puissance.

Aussi, ce positionnement hétérodoxe consiste en la défense et l’illustration de mesures autres que celles aux­quelles les pouvoirs politiques nous ont habitués. Au Québec, l’Institut de recherche et d’informations socio-économique (iris) propose de créer de nouveaux paliers d’imposition; Jacques Généreux, pour sa part, soutient des politiques d’investissement public dans des secteurs d’activité susceptibles d’embauches massives tandis que le fiscaliste Richard Murphy milite pour qu’on revoie la taxation internationale selon des déclarations de revenus et d’activités «pays par pays», de façon à empêcher des délocalisations d’actifs factices dans des législations de complaisance aux fins d’évitement fiscal.

Alain Deneault est auteur d’essais critiques sur la finance et les politiques économiques. Son dernier essai, Paradis fiscaux. La filière canadienne, est paru chez Écosociété en 2014.

N° 305: Ministère de la Formation

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