Une formation à la dérive
Entretien avec Suzanne-G. Chartrand
Les enseignants de français au secondaire sont-ils bien formés?
Suzanne-G. Chartrand — On n’a pas d’études sur la qualité ou la compétence des étudiants qui sortent des facultés des sciences de l’éducation. Depuis 1992, j’ai enseigné dans diverses universités québécoises, dans des programmes de formation à l’enseignement, et je considère, bon an mal an, qu’un certain nombre d’entre eux seront d’excellents enseignants parce qu’ils sont intéressés par le travail intellectuel – et le travail de l’enseignant de français est d’abord un travail intellectuel. Il faut lire, écrire, s’intéresser au monde des mots, à la langue, aux textes, à la littérature. Réfléchir, aussi, au monde de l’éducation et être capable d’analyser de façon critique les outils pédagogiques. Il faut donc être curieux, avoir un esprit critique, avoir un intérêt marqué pour le français, et ça, bien avant l’entrée à l’université. Certains ont ce profil et, au bout de quatre ans, ils deviendront assurément de très bons enseignants. Il y a par contre un nombre important d’étudiants qui arrivent du cégep après avoir fait une scolarité moyenne, sans grand appétit pour la connaissance, et qui vont obtenir leur diplôme universitaire avec des notes assez médiocres. Ceux-là vont quand même pouvoir enseigner. Il y en a d’autres enfin – le quart d’une cohorte environ – qui, d’après moi, ne devraient même pas être admis à la formation des maîtres, parce qu’ils ne maîtrisent absolument pas les contenus à transmettre aux élèves et n’ont pas assez d’intérêt pour le travail intellectuel dont on parlait. Malheureusement, le seul indice qu’on a de la qualité de leur scolarité antérieure est celui de la cote R, c’est-à-dire la cote qui révèle la moyenne générale des étudiants à la fin de leur scolarité collégiale selon le programme suivi. Beaucoup d’étudiants peuvent entrer dans un programme de formation à l’enseignement avec une cote R très faible, contrairement à ceux qui entrent dans d’autres programmes contingentés comme architecture, psychologie et médecine. Mais cette cote R est controversée et ne devrait pas suffire comme critère d’entrée.
Quand on regarde les conditions de travail des enseignants au secondaire, on s’aperçoit qu’ils pratiquent l’un des métiers les plus dévalorisés de la société. On prétend que ce sont des professionnels, mais, dans les faits, ils ont très peu de liberté dans leur pratique professionnelle. Ils ne choisissent ni les contenus à enseigner, ni leurs élèves, ni leurs horaires, ni leurs manuels, ni les examens de fin de cycle. Les professionnels reconnus choisissent souvent leur clientèle, leurs outils de travail, leurs évaluations et leurs conditions de travail. Toute une différence, donc!
Dans sa plus récente étude, le professeur Maurice Tardif montre comment le personnel enseignant s’est transformé dans les trente dernières années. On a affaire à une population particulièrement jeune, très fortement féminine, et dont le niveau de salaire a bien peu augmenté depuis une trentaine d’années. C’est d’ailleurs un des secteurs où les salaires sont les plus faibles et où ils ont augmenté le moins rapidement. La plupart des travailleurs ont obtenu des augmentations beaucoup plus importantes que les enseignants. On sait pourtant que la meilleure façon de valoriser des emplois, c’est de donner des salaires conséquents. Alors, dites-moi, pourquoi de jeunes gens brillants, intéressés par le savoir et la culture, devraient quand même choisir ce métier-là? On peut s’interroger plutôt que de simplement demander: «Pourquoi autant de médiocres dans ce milieu-là?»
Finalement, les facultés d’éducation n’ont pas vraiment le choix. Dès le départ, beaucoup de leurs étudiants ne sont pas à la hauteur de ce travail intellectuel que vous trouvez si important.
Les universités fonctionnent comme des entreprises. Elles cherchent des revenus et ne se gênent d’ailleurs pas pour parler des étudiants comme de clients. Elles vont tout faire pour remplir le contingentement fixé par le Ministère pour les programmes d’enseignement primaire et secondaire. Alors, si une université n’a que trente-cinq candidats qui ont de bons dossiers parmi les soixante auxquels elle a droit, pour l’enseignement du français au secondaire par exemple, elle va quand même prendre les vingt-cinq qui suivent parce que ce sont des clients. On remplit le contingentement dont on dispose, un point c’est tout. Même si plusieurs ont lamentablement échoué au test de français écrit à l’entrée! Comme la plupart des étudiants seront diplômés, on les retrouve ensuite sur le marché du travail, qu’ils soient excellents ou moins bons.
Didacticienne du français, spécialisée dans l’enseignement et l’apprentissage de l’écriture et de la grammaire, Suzanne-G. Chartrand a enseigné au secondaire et à l’éducation des adultes; elle a aussi été professeure titulaire à l’Université Laval. Elle est maintenant professeure retraitée, associée au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval.