Critique – Cinéma

Faire semblant

Huit. C’est le nombre d’années qu’il aura fallu attendre, depuis Tu dors Nicole, avant d’avoir enfin droit à un nouveau film de Stéphane Lafleur. Entre les deux, le cinéaste s’est bien sûr tenu occupé. Il y a eu deux ou trois albums de musique dans cet intervalle, en plus d’un projet de long métrage abandonné – sans compter tous ces films dont il a signé le montage au fil du temps, tels que La disparition des lucioles, de Sébastien Pilote, ou encore Une colonie, de Geneviève Dulude-De Celles. N’empêche que, durant ces huit années, on a eu le temps de s’ennuyer de la voix si particulière de Lafleur. Son humour pince-sans-rire nous avait manqué, tout comme son sens de l’observation décalé, et cette tristesse, toute en retenue, son regard mi-mélancolique, mi-amusé.

À n’en pas douter, Lafleur occupe une place particulière dans le paysage du cinéma québécois. Auteur à la fois raffiné et accessible, il se situe en marge des courants dominants et de ces catégories grâce auxquelles on sépare généralement les œuvres en des camps distincts. Son cinéma n’attire pas nécessairement les foules, à proprement parler. Mais il trouve tout de même le moyen de se tailler une place quelques semaines parmi les échelons inférieurs du box-office québécois, avant d’en être expulsé par le flot ininterrompu de sorties américaines tapissant invariablement nos écrans. Il a le mérite d’exister au-delà du cercle d’initiés qui fait généralement survivre de peine et de misère le cinéma d’ici.

Cette tension culturelle entre le Québec et les États-Unis s’impose justement comme l’une des (nombreuses) idées animant Viking. La forme elle-même y renvoie, par cette prémisse amusante voulant qu’un groupe de Québécois soit engagé afin de simuler sur Terre les comportements des membres de la première expédition habitée vers Mars. L’enjeu est là, dès le début du film, lorsqu’un officiel de l’American Space Exploration Agency venant prendre la parole pour motiver les membres de cette «équipe B» cite Ronald Reagan en guise d’ouverture à son discours: «L’avenir n’appartient pas aux timorés. L’avenir appartient aux braves.» On insiste, immédiatement, sur la distinction entre ceux qui ont du courage et ceux qui n’en ont pas. Entre ceux qui réussissent et ceux qui échouent. Entre cette conception proprement américaine du triomphe et tout le reste.

N° 338: Vidanges

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