Critique – Scènes

Gentilles et patientes

Au mois d’octobre dernier, dans le cadre du festival Phénomena, j’ai assisté au Cabaret féministe pas gentil du tout. À mon humble avis, ce spectacle était assez gentil ou, du moins, pas méchant du tout; aucune misandrie ne semblait émaner des performances, pas de coups de gueule non plus, mais simplement des femmes qui, haut et fort, affirment qu’elles ne sont ni dociles ni passives. Le temps de quelques heures, les spectatrices – il y avait très peu d’hommes dans la Sala Rossa remplie à craquer – se sont montrées enthousiastes devant la succession de performances qui, quoiqu’inégales, étaient toujours authentiques et touchantes. Nous pouvions souvent nous reconnaître dans les états des performeuses, dans leurs forces et dans leurs faiblesses, et dans les histoires qu’elles ont décidé de nous confier. L’énergie de cette soirée m’a accompagnée pendant des jours et ses échos se font encore sentir plusieurs semaines plus tard. J’ai rêvé qu’un jour, dans un avenir où aucune d’entre nous ne sera plus de ce monde, on présenterait des archives d’événements féministes semblables à celui-ci, qui s’intituleraient «Les femmes des années 2020». On y montrerait le courage et la fierté de nos contemporaines, et tout l’amour qu’elles ont reçu en retour…

Dans sa présentation du Cabaret féministe pas gentil du tout, D. Kimm, directrice artistique du festival Phénomena, se remémorait des moments où, alors qu’elle était plus jeune, les femmes de son milieu se réunissaient de façon décontractée et joyeuse. Elle évoquait une atmosphère chaleureuse et indulgente, où il était bon se reconnaître en l’autre, de rire et pleurer ensemble, où la confiance d’être acceptée telle qu’on était surpassait la crainte d’être jugée. Elle souhaitait partager ces moments à nouveau, avec nous. Écouter des femmes d’horizons différents alors qu’elles s’expriment fougueusement, calmement, librement. Je n’ai pas connu ces moments de convivialité féminine avant de devenir adulte et je crois sincèrement que les traces que cette soirée a laissées dans mon cœur témoignent de l’importance de ces espaces de partage. Ils sont des lieux de questionnement, d’affirmation, de ressourcement, mais aussi, je crois, de protection.

J’aurais tant aimé sentir cette protection durant cette période trop longue, plusieurs années entre la puberté et la majorité, pendant laquelle j’en ai voulu au monde entier de m’avoir fait naître dans le corps d’une femme. Je détestais mon corps: sa couleur, ses formes, ses envies, ses odeurs… C’est qu’à cause de la génétique, les changements arrivent assez tôt pour certaines d’entre nous. J’avais à peine dix ans, j’étais grosse, musclée, poilue. Tout sauf délicate. J’avais les bourgeons douloureux à force de frotter contre mon t-shirt Humeur Design. J’avais la colère au ventre, la fatigue au corps, l’excès de sébum au visage. Et puis, sans avertissement, j’ai perdu le titre de «garçon manqué», qui se voulait injurieux, certes, mais qui avait quelque chose de rassurant pour l’enfant que j’étais. Je suis alors devenue «petite torche» et bien vite «grosse salope». Cette incroyable violence, je l’ai vécue, je l’ai prise et je l’ai internalisée, comme plusieurs l’on fait, le font encore. Il nous arrive d’accepter ce qui est inacceptable, même de s’en satisfaire.

N° 338: Vidanges

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