Critique – Littérature

Un écrivain désespérément politique

Le virus et la proie, plus récent livre de Pierre Lefebvre [rédacteur en chef à Liberté de 2005 à 2017, ndlr], énonce dès ses seuils l’axe politique dans lequel il veut s’inscrire. Publier un monologue théâtral chez Écosociété, qui fait usuellement paraître des essais engagés, révèle un positionnement assumé. De même, placer en exergue les paroles de Leslie Kaplan contribue à identifier Lefebvre aux avant-gardes françaises des années 1970-1980, qui ont mené une réflexion sur le pouvoir social de la parole littéraire, mais dans le contexte post-soixante-huitard et la fin des utopies socialistes. Le mot «politique» ressortit en cela moins directement à la question du pouvoir de l’État, c’est-à-dire à la politique, qu’à une pensée éthique du vivre-ensemble et des rapports de pouvoir, à savoir du politique. L’ambiguïté propre de la parole littéraire (dans la lignée de Kaplan) en est un modèle: «Imaginez le texte de loi s’aventurant là où la littérature s’aventure.»

Le monologue prend la forme d’une lettre adressée à un «Monsieur», à un «ministre – le premier, même, si ça se trouve», et réside en une charge mordante contre la «structure sociale», ses valeurs néolibérales («rendement», «efficacité», «cadence», «mesure», «rigueur») et ses logiques d’action (au premier chef, l’exploitation et même le sacrifice des dominés par les puissants). Le monologue frappe par sa rigueur critique, parfois retourné en une heureuse forme d’autodérision de celui qui sait participer au système qu’il dénonce. Une phrase de Balzac, citée par le monologuiste, révèle la vision du monde de ce dernier: «Derrière chaque fortune, il y a un crime.»

C’est à la rationalité fonctionnaliste et comptable, dans laquelle les institutions (scolaires, judiciaires, politiques) se sont dissoutes, que s’en prend le personnage – Lefebvre avance, en ce sens, après d’autres: «il n’y a plus d’institutions», seulement une «métamorphose entrepreneuriale» permanente, autogénérée, mécanique comme un automate. Le texte opère une mise à nu du «désenchantement du monde», à savoir l’instrumentalisation de la raison et sa confiscation à des fins de pouvoir. Le narrateur, avec, dirais-je, un brin d’exotisme nostalgique, regrette des formes sociales anciennes: «Le sacrifice des vies humaines avait dans ce temps-là une fin, un sens; les meurtres ritualisés racontaient à tout le monde la difficile origine de tout. Le récit permettait à l’univers de poursuivre sa course.» Mais le récit est-il encore aujourd’hui doué de cette fonction sacrée de relance?

N° 338: Vidanges

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