Au pays de la laideur
«Laide, laide / Comme la vie est laide, laide / Car je ne suis pas belle, belle», chantait Jean Leloup. On entame le livre Laideronnie en se demandant de quoi sera fait ce pays dont Kareen Martel nous propose un tour d’horizon. Sachant que la préface est signée par Safia Nolin, on imagine que ce territoire de la laideur portera les traces de l’humiliation, de l’intimidation et de la grossophobie. On ne se trompe pas. Le sujet est délicat en ces temps où la vie s’instagramise dans tous ses replis, avec ou sans filtres.
Sujet délicat? En témoigne la demande d’un ami de longue date, qui m’a suggéré la lecture de ce livre («J’ai pensé à toi…») pour une critique, me tendant Laideronnie, comprenant aussitôt sa maladresse à mon air amusé. Avant même d’ouvrir cette plaquette, je savais que la «laideronnie» dont il serait question serait de genre féminin, n’en déplaise à ses plus dignes représentants masculins.
Les diktats de la féminité m’horripilent tant que le fait de consacrer un livre à cette «laideur», comme territoire où sont condamnées à vivre celles qui ne correspondent pas à une certaine norme sociale, me semble déjà accorder trop d’importance à celle-ci. Mais laissons une chance à la beauté. Qu’est-ce que la laideur au fait? Ne cesse-t-elle pas d’exister dès le moment où l’on arrête de ne vénérer qu’une seule forme de beauté? Endosser l’étiquette de «laideronne», c’est accepter qu’on soit du mauvais côté des choses, que l’aura de la beauté nous ignore. C’est, en soi, admettre une défaite.