Il n’y a pas de réparation possible
En juin 2022, lors de la cérémonie de remise du prix Xavier-Villaurrutia, décerné au meilleur livre publié au Mexique dans l’année, l’écrivain Felipe Garrido a osé exprimer ses réserves sur El invencible verano de Liliana («L’invincible été de Liliana»), le livre gagnant, qui raconte les dernières années de vie de la sœur de son autrice, Cristina Rivera Garza. Comme Liliana, assassinée dans les années 1990, prenait soin d’archiver son existence dans des lettres et des carnets, le récit a pu être en partie raconté dans ses propres mots. Garrido a déploré le peu d’espace fait à l’assassin et à ses motivations, se permettant de suggérer trois textes de fiction «captivants» traitant de féminicides: Le tunnel, d’Ernesto Sábato, ainsi que les contes L’intruse et El compa, de Jorge Luis Borges et d’Edmundo Valadés, respectivement. À la misogynie de ces propos, Rivera Garza a répondu qu’il faut «les voir, elles, toujours, pas leurs assassins. Les assassins, on les voit déjà partout».
Cet incident, en plein gala littéraire, montre qu’il reste du chemin à faire pour que les voix et le travail des écrivaines et des femmes en général soient reconnus à leur juste valeur. Il faut néanmoins constater que leur pertinence est de plus en plus célébrée dans le paysage littéraire mexicain. En témoignent, en plus de ce prix remis à Rivera Garza, trois romans récemment traduits en français: Maisons vides, Paradaïze et Ce que tomber veut dire. De factures très différentes, ils racontent tous un monde où le machisme, les inégalités et la violence étatique causent des dommages irréversibles dans la vie intime.
Dans Maisons vides, premier roman de Brenda Navarro, deux femmes sont mères du même enfant, l’une parce qu’elle lui a donné la vie, l’autre parce qu’elle l’a kidnappé. Leurs voix alternées racontent des existences qui n’étaient pas destinées à se croiser, et deux Mexique. En effet, la mère biologique de Daniel appartient à la classe moyenne et est mariée à Fran, un Espagnol, avec qui les rapports sont distants, éteints; c’est en parlant à son amant au téléphone qu’elle a perdu son fils de vue au parc. La deuxième mère de l’enfant, rebaptisé Leonel, habite dans un quartier défavorisé de Mexico. Son conjoint, Rafael, vit à ses crochets, la violente, la trompe et finit par les abandonner, elle et ce garçon qu’il n’a jamais consenti à avoir.