Le petit Nord
Sur la 20, entre Sainte-Madeleine et le Madrid, on dit déjà du mal de Québec et de son spaghetti d’autoroutes. Toute la province serait à l’image de sa capitale, bétonnée à la grandeur, conçue autour des chars, dépressionniste (nous remercions les vrai·es de Québec pour ce terme qui fête ses quinze ans). On a hâte de se rendre de l’autre bord, on veut déjà reprendre la cadence pour rouler à toute allure entre deux murs d’épinettes. Mais la route redevient vite sinueuse et l’emporte sur la vitesse; on ne verra pas s’accomplir tout de suite le désir d’aller jusqu’au bout, à tombeau ouvert. Passé Cap-à-l’Aigle, les arbres font place à des vues de plus en plus prenantes sur l’eau. Pendant des heures, on roule entre la forêt boréale et le fleuve qui devient une mer. Après, les conifères rapetissent jusqu’à devenir à peine plus hauts que nous. S’emmêlent pessières et tourbières, des étendues brunes et vertes qui, contrairement au sublime facile du fleuve, sont un goût qui se développe.
Nous allons vers le Nord – pas le grand, mais le petit, celui qu’on pense domestiquer. Avant nous, d’autres ont chanté qu’illes sont parti·es toute jeunesse / gagner leur vie et faire métier vers le Tit-Nor. Après les Laurentides, l’Abitibi, après le Lac-Saint-Jean, la Manicouagan. Dans la baie des Chaleurs, à mesure que les contraintes économiques s’accumulent, les nouveaux chômeurs quittent l’usine et le moulin à papier de Campbellton pour ouvrir l’intérieur des terres gaspésiennes. Au crépuscule de l’été, un curé fantaisiste envoie quelques familles au fond du bois, confondant survie en forêt et peuplement du territoire.
Dans certaines itérations de cette colonisation orchestrée par l’État, le capital et le clergé, François Paradis et Menaud partent couper du bois. Maintenant, on trouve d’autres raisons pour descendre. On enchaîne les métiers qui sont fils de misère / on est chômeur quand on veut pas les faire. On creuse des carrières à ciel ouvert en espérant y trouver des terres rares; et si les boues contaminées s’écoulent vers le cours d’eau, on n’aura qu’à le harnacher pour que redoublent les profits. Sans surprise, on marchait vers des mirages, et ces campements conçus pour la subordination se vident à la première occasion: on voit de loin s’effacer les villages / on voit personne et tout est désâmé.