Le dépotoir de la culture
La scène se déroule un matin de printemps, devant une maison de ferme en piteux état, modeste construction datant des années 1930. Un conteneur de dix-sept pieds est posé à quelques pas de la galerie de bois, une plateforme sans garde-fou. Des gens entrent et sortent de la maison en s’accrochant chaque fois dans le carillon suspendu qui tinte près du petit escalier; ils lancent par-dessus bord en un ballet joyeux et expéditif lampes de table éreintées, chaises de bois bancales, literie de toutes les couleurs mangée par les mites, sélection de musique classique sur cassettes audio, boîtes de carton humide remplies de paperasse ébouriffée.
Louise et Pierre sont tous les deux décédés dans la dernière année et demie, ne restent ici que le souvenir et la trace de leur vie commune: un petit lopin de terre cultivé avec soin, serti entre la grand-route et la rivière, l’ancienne laiterie comme un petit musée, la serre à l’abandon depuis plus d’une décennie, la bergerie en fonction encore quelques mois plus tôt, la source impétueuse au printemps et les érables à Giguère apparemment éternels, et toute cette litanie d’objets de la vie quotidienne, anciens et récents, gisant, sans maître.
Tous les deux exerçaient des professions reliées à la santé et produisaient sur leur petite ferme de vingt-quatre acres une part considérable de leur nourriture annuelle: fruits et légumes variés, légumineuses en abondance et, selon les époques de leur vie, œufs, lait, viande d’oie, de canard, de mouton – sans compter le bois de chauffage destiné à la cuisinière qui occupait le cœur de la maison. Tout était fait à la main, à force de bras, avec un minimum de machinerie agricole, y compris le fourrage destiné aux animaux l’hiver.