Les tribulations d’un futur réfugié climatique à la Manic
Devant l’imminence du péril, deux voix d’égale force s’élèvent en l’homme: l’une lui dit fort raisonnablement qu’il doit examiner la nature du péril et les moyens de l’éviter; l’autre lui suggère, plus raisonnablement encore, qu’il est par trop pénible d’y réfléchir alors qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de tout prévoir et d’échapper à la marche générale des événements, et qu’en conséquence mieux vaut se détourner des choses désagréables jusqu’à ce qu’elles surviennent et penser à ce qui est agréable.
— Tolstoï, La guerre et la paix
Le 23 août 2021, un lundi, les prévisions météo de mon journal annonçaient un maximum de 29 °C pour Sherbrooke, là où je vis, et de 22 °C à Baie-Comeau. Même chose pour le lendemain. Le mercredi, on prévoyait 30 °C à Sherbrooke contre 20 °C à Baie-Comeau. Et le jeudi, encore 30 °C en Estrie, mais pour Baie-Comeau, le maximum était passé à 21 °C. On n’y parlait pas des taux d’humidité.
Une semaine plus tard, le matin sur un bout de papier avant de faire mes mots croisés, je notais toujours les écarts. 3 septembre: 19 °C à Sherbrooke, 13 °C à Baie-Comeau; 8 septembre: Sherbrooke 26 °C, Baie-Comeau 18 °C. Un calcul rapide me donne un écart moyen de 7,8 °C. Pour s’en tenir aux seules températures maximales, ça représente un écart beaucoup plus important que celui qu’on retrouve, pour la même période, entre la Floride et le Québec.
Et pour le réservoir Manicouagan, 300 kilomètres au nord de Baie-Comeau, il faut encore abaisser la moyenne, en vertu de la règle empirique facile à retenir qui stipule qu’on perd un degré de température pour chaque centaine de kilomètres qui nous rapproche du pôle Nord. Les maxima prévus pour Sept-Îles l’été dernier semblent vouloir confirmer la tendance: même si les 230 kilomètres qui séparent les deux villes ne s’inscrivent pas dans un axe franc nord, il faisait, en août et en septembre 2021 dans le chef-lieu de la Moyenne-Côte-Nord, régulièrement deux ou trois degrés de moins qu’à Baie-Comeau.
Louis Hamelin est écrivain. Il est l’auteur de quelques essais et de dix œuvres de fiction. Son dernier roman, Les crépuscules de la Yellowstone, est paru à l’été 2020. On peut lire ses chroniques littéraires le samedi dans Le Devoir.