L’important, c’est de se pratiquer [sic]
Au détour d’un boulevard, il surgit, incliné à l’horizon, comme hésitant entre l’affaissement et l’érection. Il s’élève, et nous élève: c’est l’étoile du matin dans une ville qui s’invente ses propres points cardinaux. Au même titre que les baristas bilingues à l’air bête, les cônes orange et les rues qui sentent le compost en juillet, l’apercevoir trônant à l’est constitue une expérience profondément montréalaise. Pour notre génération qui ne l’a pourtant connu que vidé de son activité, il est difficile d’imaginer la ville sans ce repère géographique. À plus forte raison, le mât et son stade déterminent la marche que suit Montréal quand elle a perdu le nord. Nous empruntons aujourd’hui l’aérodynamisme de la célèbre tour autant pour atteindre le futur plus rapidement que pour glisser vers le passé récent: cette marque essentielle de notre jungle urbaine guide nos regards et ouvre notre troisième œil.
Des ami·es et poètes nous racontaient récemment avoir descendu à ski la côte Morgan avant la destruction olympique. Une photo d’archive trouvée sur internet confirme leurs propos. On y voit un talus enneigé qui donne à Montréal des airs de campagne avec, en arrière-plan, les usines d’Hochelaga. Mais au tournant des années 1960, le remonte-pente fabriqué d’une corde en jute attachée à un moteur de camion et les glissoires de bois d’où s’élançaient les Montréalais·es en traîneau font place à des installations sportives estivales: piscines et terrains de tennis.
Un saut en hauteur et dans le temps nous fait atterrir quelques mois avant les Jeux de la XXIe olympiade. La neige s’accumule sur une structure de béton, inachevée, dont les formes nettes rappellent les corps sculpturaux, spécialisés à l’extrême, des athlètes olympiques. La planète (à l’exception de presque tous les pays africains, qui boycottent les Jeux) prépare son arsenal athlétique avant la grande ouverture; et ce décompte préoccupe grandement les responsables de la construction du stade qui, elle, stagne.