Critique – Cinéma

Qui dort quand?

Stéphane Lafleur poursuit son travail de réenchantement du monde.

Tout ça débute dans un paysage idyllique, sur l’image d’une chute d’eau dont le son envoûtant évoque le voyage de rêve, l’exotisme à cinq cennes, les cartes postales de paradis sur Terre aux couleurs trop belles pour être vraies – et au fond, trop belles pour être belles. Pour un moment, on y croit presque et on se dit, le titre du film précédent de Stéphane Lafleur nous effleurant la mémoire, que nous ne nous trouvons pas cette fois-ci en terrains connus. Sauf que cette image n’est qu’une image et que cette chute n’est pas une chute. La chute est dure. Il s’agit de l’un de ces vieux tableaux lumineux et sonores qui prennent la poussière, oubliés dans un quelconque sous-sol de banlieue – un objet qui, éteint depuis des années, n’inspire plus la sensation d’un ailleurs comme sa conception le prévoyait.

Sauf dans le cinéma de Stéphane Lafleur, où la magie opère un moment avant que la banalité ne reprenne son emprise sur le réel. Pour un bref instant, le spectateur se laisse avoir. Il est transporté, parce que le plan efface le cadre de la scène. Un objet peut se transformer, si l’on accepte d’oublier tout ce qui l’entoure, car rien n’est prisonnier de son contexte. Voilà, au fond, la première idée que cherche à exprimer Lafleur avec Tu dors Nicole: tout peut s’extraire et, ainsi, s’émanciper de son milieu sans même le quitter. Il en va de même pour ses personnages. Il suffit de les changer de décor, même temporairement, pour qu’ils aient meilleure mine.

On pense à une autre scène, très belle, un peu plus loin dans le film: Nicole erre dans les rues de son quartier, la nuit. Une voiture passe, puis repasse. Le spectateur imagine les pires scénarios possible, pense aux tueurs en série du cinéma d’horreur des années quatre-vingt, aux légendes urbaines scabreuses constellées de vans blanches aux vitres teintées… Finalement, ce mystérieux rôdeur n’est qu’un père qui tente d’endormir son enfant. Nicole monte à bord de la voiture. Elle écoute des enregistrements de chants de baleines et, pendant un bref instant, cette sonorité tout droit sortie du plus miteux des passés new age redevient belle et étrange. Le cliché s’estompe et le réel redevient un rêve dont on ne sait plus trop quoi penser.

N° 307: La moitié du monde

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