Critique – Théâtre

Un théâtre de commémoration

Réactiver la mémoire de la répression soviétique.

Le vertige, cette impression de sombrer dans un puits sans fond, la professeure et historienne Evguénia Guinzbourg l’a connu intimement pendant une décennie. Arrêtée en 1937 par le NKVD, la police politique de l’Union soviétique, elle sera condamnée à l’emprisonnement en cellule d’isolement avant de voir sa peine commuée en dix ans de travaux forcés.

Le théâtre de l’Opsis célèbre son trentième anniversaire en présentant l’adaptation des mémoires de cette victime des Grandes Purges de Staline, qui témoignent de la traque obsessive des ennemis du Parti communiste jusque dans ses propres rangs. La compagnie, fondée en 1984 par Serge Denoncourt, a le mérite de nous faire connaître un texte fascinant, sans toutefois nous convaincre de la pertinence de sa transposition sur scène. Le vertige de Guinzbourg ne nous saisit pas, ne nous fait pas tanguer avec elle, il est maintenu dans son statut de document, comme si le crime restait éternellement à prouver.

La mise en scène de Luce Pelletier cherche à rendre intelligible une situation qui n’a rien de cohérent ni de raisonnable. L’espace scénique est divisé en trois, les différents lieux d’emprisonnement au centre et les salles d’interrogatoire de chaque côté. Le personnage d’Evguénia, incarné par Louise Cardinal, dont le jeu rend avec justesse la dégradation progressive du corps, se trouve brinquebalé d’un côté à l’autre, au gré de la volonté des officiels du Parti qui cherchent à tirer d’elle des aveux. La pièce est rythmée par ces déplacements, qui s’enchaînent sans temps mort, dans une série de vignettes où l’on présente Evguénia en alternance avec ses codétenues et avec les enquêteurs. Cette disposition, en scindant très distinctement l’espace des bourreaux et celui des victimes, celui des hommes et celui des femmes, force les trente acteurs qui occupent le plateau à s’insérer dans une mécanique manichéenne. Au final, la proposition scénique aplanit la réalité historique en voulant trop s’y coller et neutralise la portée politique du texte en polarisant les positions représentées.

N° 307: La moitié du monde

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