Quand l’Eldorado tourne le dos
L’art du documentaire est pour Sylvain L’Espérance une véritable vocation. Pour preuve, Sur le rivage du monde est son troisième film sur le Mali – à lui seul, quatre voyages ont été nécessaires pour le tourner. L’Espérance met le cinéma au service de l’autre, sacrifiant temps, argent et tout présupposé qui en nierait la réalité.
La logique intéressée du système médiatique ne permet pas ce type de sacrifice; les volontaires se font tout aussi rares chez les artistes pourtant plus libres. Et en regard des «événements» occidentaux, l’actualité du reste du monde vaut difficilement son pesant d’or en cotes d’écoute. Reste quelques petites fenêtres pour le voyeurisme touristique, le scandale culturel de la polygamie, de l’excision et des enfants soldats, qui indignent les bourgeois occidentaux et les plongent dans des sentiments mêlés: réconfort, pitié, impuissance, remords.
Sylvain L’Espérance n’instrumentalise pas ainsi les malheurs des Africains dans le seul but de nous exciter. Par un geste simple, mais assez rare, il va avec sa caméra à la rencontre d’êtres humains pour leur demander où ils en sont alors qu’il ne se passe rien d’extraordinaire dans leur vie. Les migrants de Sur le rivage sont au bas de l’échelle, prisonniers de Bamako, dans l’attente de saisir une occasion. Insatisfaits de leur situation, ils ont quitté famille et village à la recherche d’un Eldorado, mais cet Eldorado leur a tourné le dos, pour reprendre les mots de Félou. Capturés puis déportés, ils ont traversé le désert, au propre comme au figuré.