De quel amour peut-il bien s’agir?
Amour: un tel titre, au sein de la filmographie de Michael Haneke, a de quoi terrifier. La production cinématographique d’Haneke touche toute une gamme d’émotions et d’affects produits par les situations de domination. C’est une des raisons pour lesquelles son cinéma est parfois si pénible, et pourtant passionnant: il ne se contente pas de montrer ces situations, il les donne à éprouver à ses spectateurs – pour lesquels ses films deviennent littéralement des épreuves. Affectant ceux qui les regardent, ils révèlent l’étonnante capacité du cinéma à constituer un terrain d’expérimentation affectif.
De quel amour, alors, est-il question dans ce film? Étrangement, il semble désigner une soumission radicale, par l’identification entre perte d’autonomie et sujétion. Tout concourt à faire de la maladie d’Anne, personnage joué par Emmanuelle Riva, une pure dégradation – c’est-à-dire, au fond, une diminution de son humanité.
Il semble presque qu’Haneke se soit délibérément privé des possibilités d’ouverture inédites que peut susciter la dépendance, de façon à ne pas se priver de l’acte qui organise le film: l’assassinat d’une personne aimée – non pas sous le coup de la colère ou de la jalousie, mais simplement parce que, peu à peu dépourvue de ses possibilités d’agir, la simple consistance de cette personne semble se dissoudre. Dans le film, la perte de la capacité à contrôler son corps en vue d’actions volontaires et décidées entraîne la dépossession de sa légitimité à exister. Cette femme serait-elle une machine, dont la valeur disparaîtrait alors que son mécanisme se détraque? Anne la musicienne serait-elle une chaîne hi-fi, vouée ou à la virtuosité ou aux vidanges?