Traverser le pont Jacques-Cartier
L’autobus se remplit peu à peu de voyageurs et s’engagea sur le pont. J’ouvris mes yeux bien grands pour contempler le fleuve, les bateaux, l’île Sainte-Hélène. Puis l’autobus atteignit l’autre rive. Mon père et moi n’étions jamais allés de ce côté du fleuve. Nous étions complètement dépaysés. L’autobus continua tout droit sur la rue Sainte-Hélène, puis vira à gauche sur le chemin Coteau-Rouge. Ce chemin était une vraie route de campagne. Étroit, zigzagant, cahoteux, il traversait d’immenses champs où apparaissaient, ici et là, quelques cabanes de bois ou de «tôle». Pendant une assez longue distance, nous n’aperçûmes que des champs déserts. Puis nous vîmes une ferme, avec une basse-cour et quelques vaches au bord du chemin. Enfin, l’autobus s’engagea dans une espèce de village et un gros nuage de poussière se mit à vibrer dans l’air. […]
Nous nous levâmes. L’autobus s’arrêta. Le conducteur nous souhaita bonne chance, comme un ami vous serre la main et vous encourage, alors qu’il trouve insensée l’aventure que vous vous apprêtez à vivre. Nous descendîmes de l’autobus, maladroitement; nous étions nerveux, comme des voyageurs qui pénètrent dans un pays incertain.
Était-ce possible que la liberté se trouvât dans ce petit village aux rues de terre, aux petites maisons délabrées et dispersées, se trouvât dans ce coin perdu, rempli de poussière et d’enfants sales?