Critique – Fiction

Une année à cultiver son jardin

Deux siècles plus tard, le calendrier révolutionnaire peut-il garder sa charge subversive?

On se découvre parfois d’étranges zones sensibles: en ouvrant Révolutions, moi qui ne me considère pas plus jacobine qu’une autre et ne cultive guère le souvenir de Danton, j’ai ressenti une certaine irritation devant le traitement bon enfant de la Révolution française qui enrobait l’ouvrage. Quel genre de clin d’œil sympa à la Terreur justifiait un tirage de 1793 copies du livre, clin d’œil d’un goût, disons, moyen? Ma méfiance était d’autant plus exacerbée que rien des écrits passés des auteurs ne promettait une écriture particulièrement investie dans les luttes de pouvoir et dans la critique idéologique. Alors pourquoi placer un événement aussi politiquement chargé au cœur d’un ouvrage l’étant en apparence aussi peu? On répliquera que l’idée maîtresse du livre justifiait cette innocente récupération du plus très récent passé français et qu’il faut donner une chance à ce projet iconoclaste en l’acceptant pour ce qu’il est. La citation de Borges placée en exergue annonce une sorte de labyrinthe de formes. Soit. Ne boudons pas notre plaisir et entrons-y.

Révolutions se fonde sur le calendrier républicain établi en 1793 par Fabre d’Églantine, poète «au talent discutable» qu’on charge de trouver des noms pour chaque journée (raisin, âne, tonneau…) et chaque mois (vendémiaire, brumaire, pluviôse) de l’année, en remplacement des anciens saints et saintes associés au calendrier grégorien. De 1793 à 1806, ce sont donc des plantes, des animaux et des outils qui ont accompagné le quotidien des citoyens français, ceux-ci voyant de plus leur année se terminer en une sorte d’apothéose de vertu grâce à cinq journées dédiées à des propriétés particulières (travail, génie, opinion, récompenses, révolution). Fabre d’Églantine finira guillotiné un an après l’élaboration du calendrier, mais entre-temps, il aura sollicité l’aide d’André Thouin, spécialiste des greffes et des plantes exotiques au Muséum d’histoire naturelle, pour le conseiller côté botanique. Plus près de nous, Dominique Fortier et Nicolas Dickner reçoivent chaque jour par courriel, sans savoir ce qui les attend, le mot choisi deux cents ans plus tôt par les deux comparses, grâce à un logiciel mis au point pour le projet. Chacun des auteurs disserte sur le terme, pendant quelques lignes ou paragraphes, sans savoir ce que l’autre écrit, tandis que Thouin et Fabre d’Églantine deviennent deux figures tutélaires avec qui discuter – et se plaindre – du mot du jour; deux interlocuteurs qu’on peut taquiner sur les années 1790 et leurs dérives comme si c’était hier.

N° 307: La moitié du monde

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