Un héros antimoderne
Il y a un endroit, quelque part dans l’entame de La classe de rhéto, où déjà les faits se brouillent: le narrateur a fait lire les premières pages du récit – celles, donc, que nous venons nous-mêmes de lire – à son frère, et celui-ci a indiqué des inexactitudes, des erreurs. «Cette sorte d’imprécision me semble vénielle», écrit alors Antoine Compagnon. «Je raconte mes souvenirs, non les siens, et je ne vais pas vérifier tout ce que je dis auprès de tous mes frères et sœurs, camarades, amis et ennemis.»
La classe de rhéto raconte, en apparence, la première année du jeune Antoine Compagnon au «bahut», ici une école militaire française, pensionnat où il fut envoyé au lendemain de la mort de sa mère. Arrivé des États-Unis où son père, militaire de carrière, était en poste, il se trouve soudain confronté à un monde fort différent des liberal colleges qu’il avait fréquentés jusqu’alors. Au bahut, la discipline est partout, souvent arbitraire, et les occasions de s’amuser se font bien rares. Le futur théoricien littéraire y découvrira cependant une certaine forme d’amitié, forte, indéfectible. Il deviendra pendant cette année-là, du moins est-ce la thèse du livre, l’homme qu’il est aujourd’hui.
L’intérêt de ce livre apparaîtra sans doute de façon particulièrement immédiate à ceux qui aiment déjà Compagnon l’essayiste, auteur du Démon de la théorie et des Antimodernes. Identifié à l’école de la revue Poétique – donc aux rejetons du structuralisme style 1960 –, cet ancien élève de Barthes n’est pas, comme ses aînés, un inventeur de concepts. Au contraire, il a plutôt quelque chose du rabat-joie, quoique sans méchanceté; si on doit le rapprocher d’un grand nom du Seuil, on pensera plutôt à Genette, notamment pour son côté pince-sans-rire, sa façon de laisser entendre que les théories littéraires sont bien plus utiles si on ne les prend pas trop au pied de la lettre.