La parole des bêtes
On voit d’abord dévaler à l’horizon un troupeau de caribous. Puis des volées d’oiseaux surgissent à l’écran au détour d’une coupe franche, dans la parfaite continuité cinétique de ce qui a précédé. Bientôt, ces nuées ailées se métamorphosent à nouveau. Nous sommes désormais dans la savane africaine. Des gnous traversent un cours d’eau, sous le regard impassible d’une panthère. Les images qui défilent proviennent d’innombrables sources, passant sans distinction de la couleur au noir et blanc, puis d’un continent à un autre dans un seul et même élan. Animal Macula s’articule dans un premier temps autour de tels mouvements des corps à l’intérieur du cadre, puis d’un plan à l’autre, selon une logique qui paraît de prime abord purement physique. C’est un territoire cinématographique traversé de déplacements migratoires, eux-mêmes ponctués de foudroyants éclats de violence. Aucune narration ne vient y guider notre réflexion ou diriger notre regard.
Le résultat n’en demeure pas moins particulièrement éloquent, car il provoque tout d’abord une forte réaction viscérale chez celle ou celui qui le contemple. Animal Macula fascine, justement, parce qu’il trouve son équilibre entre la nature éminemment concrète de sa matière première et la dimension abstraite de la réflexion qui est formulée à travers celle-ci. Il s’agit, surtout, d’un film dont la plus belle qualité est cette place privilégiée qu’il nous aménage au sein de sa propre structure. Le travail de Sylvain L’Espérance s’est toujours constitué autour de tels espaces de liberté – lorsqu’il ne s’est pas activement affairé à les aménager, par l’entremise du cinéma, dans un monde où ils se font de plus en plus rares. Dans le superbe Sur le rivage du monde (2013), tourné à Bamako en étroite collaboration avec des migrants rêvant de rejoindre le continent européen, sa caméra offrait à ses protagonistes un lieu où le temps lui-même semblait momentanément relâcher son emprise sur eux.
Au premier coup d’œil, on pourrait croire que ce nouveau film entièrement composé d’images d’archives se situe forcément aux antipodes des documentaires précédents de L’Espérance, tournés dans un style plus proche du cinéma direct. Ce serait oublier qu’il a toujours existé, même au sein de ceux-ci, des zones transitoires où flottait notre regard. Les différentes sections de Combat au bout de la nuit (2016), son ambitieux portrait d’une société grecque menacée d’expulsion par l’Union européenne, étaient liées entre elles par ces états de suspension – comme des brèches s’ouvrant à même la surface du réel. Animal Macula semble émerger de ces embrasures dans la façade documentaire d’une œuvre qui, dans les faits, a toujours su échapper à la rigidité de catégories refermées sur elles-mêmes. Il s’agit d’une œuvre réellement ouverte, en ce sens qu’elle nous laisse le champ libre – proposant un espace propice à la méditation plutôt qu’un discours prédéterminé, qui serait par définition réducteur.