Antiracisme, poésie et révolution à Cuba
Vai pra Cuba! En bon québécois: «Décrisse à Cuba!» Adressée par les adeptes de Jair Bolsonaro aux sympathisant·es des partis et des mouvements progressistes, cette phrase s’est popularisée au Brésil pendant la crise politique menant à la victoire de l’extrême droite aux élections de 2018. Lors des présidentielles péruviennes de 2021, on lisait sur des panneaux anti-gauche: «Cuba. Pauvreté, mort, peur, désespoir». Ces deux anecdotes électorales témoignent de la force symbolique du régime socialiste cubain soixante ans après la révolution de 1959. Particulièrement en Amérique latine, l’île communiste continue d’être imaginée et représentée à droite et à gauche (au sens propre et figuré), dépeinte alternativement en cauchemar autoritaire ou en foyer de résistance anti-impérialiste.
Pour réfléchir à la Cuba contemporaine – réelle, rêvée ou imaginée –, le détour par le Cahier d’un art de vivre: Cuba 1964-1978 est une bonne piste. En réunissant témoignage historique, essai antiraciste et anticolonial, analyse politique, critique culturelle et œuvre littéraire, ce journal intime du poète et militant noir haïtien René Depestre nous permet d’éviter tant la diabolisation que l’idéalisation de la révolution. Il nous éloigne, d’ailleurs, des essentialismes de classe, ouvrant la voie à une écriture intersectionnelle de l’histoire révolutionnaire.
Depestre déménage à Cuba en 1959 à l’invitation d’Ernesto Che Guevara. Pendant deux décennies, il a vécu de l’intérieur, avec beaucoup d’excitation et une dose équivalente de frustration, les vicissitudes de la révolution. Rédigé de manière irrégulière jusqu’à la fin de son séjour cubain, son journal enregistre des réflexions sur sa vie amoureuse, ses lectures, son processus de création littéraire et ses expériences en tant que «un cubano más» («un Cubain de plus»), jusqu’à ce qu’il ne perde la faveur du régime et quitte le pays clandestinement en 1978.