Critique – Cinéma

Au pays des mots

Il n’y a pas de faux métier. À commencer par celui que pratique Olivier Godin, cinéaste artisanal et débrouillard dont l’œuvre existe par-delà l’inflexible logique institutionnelle qui régit notre cinéma. Godin s’est imposé au fil des années et des métrages (Le pays des âmes, Nouvelles, nouvelles, Les arts de la parole, En attendant Avril) comme l’un de nos artistes les plus originaux. Ses films sont restés discrets, en raison de leur nature bricolée. Mais ils ont marqué les cercles cinéphiles et ne demandent qu’à être découverts par un plus large public, tant ils esquissent un univers unique et cohérent. Godin propose un cinéma de l’imaginaire comme horizon fertile et un cinéma du mot comme un poignard, venant chatouiller puis pourfendre la plate bêtise du monde.

Chatouiller, car, comme souvent chez Godin, tout commence par un gag: Denzel Washington, interprété par Fayolle Jean, pète. Le célèbre acteur américain, aujourd’hui réduit à jouer dans des sitcoms indignes, rêve d’obtenir le rôle d’Angel dans un remake de Buffy, tueuse de vampires. Il n’y a pas de faux métier suit le parcours improbable d’un scénario traitant d’une escouade de policiers-poètes qui désamorcent des bombes – Le gouffre maudit –, qui atterrira finalement entre les mains de Washington. Son autrice, Marie-Cobra Tremblay (Tatiana Zinga Botao), s’est récemment séparée de Rosaire (François-Simon Poirier), qui, pour sa part, finalise un sermon sur «les amours impossibles». Il est aussi question de Mélusine Catafor (Leslie Mavangui), bonne amie du couple, qui fait irruption dans le salon de Marie-Cobra avec un vase et un couteau après avoir commencé à écrire une pièce au sujet d’Ahmed, professeur d’éducation physique, vampire et voleur de diamants atteint d’un cancer de l’anus. Seront aussi mentionnées au passage la vilaine lettre E (que l’on aurait retirée du nom de l’artiste The Weeknd), l’inspiration divine, les prix remportés par la STM ainsi qu’une guerre d’écureuils. Entre autres choses.

Comme le laisse soupçonner cet abracadabrant synopsis, voici un film qui fourmille, qui déborde d’une quantité vertigineuse de détails, assemblés autour du thème de la création, dont l’accumulation frôle de faire s’écrouler l’édifice. Le centre d’équilibre est fragile, mais l’absurde l’emporte ici sur les lois de la gravité. Mieux encore, la surenchère devient la stratégie principale de l’œuvre: ce cinéma de la logorrhée se construit autour de contraintes contournées grâce à une parole en constante expansion. Autant d’idées germent ainsi dans l’esprit du spectateur; autant de choses qu’on ne verra jamais tout à fait, mais dont on goûtera l’ampleur par l’entremise des mots.

N° 331: Dans la forêt

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