Le loup parmi nous
Nous sommes des êtres de peu de cervelle. De peu de musculature aussi. Rembrunis par la vie, nous craignons d’être dévorés vivant. Pas étonnant que le loup, de tout temps, occupe nos pensées. «L’homme est un loup pour l’homme.» Le répétant pour nourrir son Léviathan, Hobbes n’a rien inventé. La vie de l’homme, dit Hobbes, est solitaire, indigente, dégoûtante, animale, brève. Et pourtant nous aimons la vie.
L’Empire de Rome s’est nourri, à ses fondements, aux mamelles d’une simple louve, chante la légende. Et depuis Romulus et Rémus, le monde n’a cessé d’éclater en fragments. Chacun aspire à son empire. Nous sommes dressés, tous autant que nous sommes, par des injonctions vouées à nous transformer en loups. Gaston Phébus, auteur au XIVe siècle du Livre de chasse, le plus célèbre des ouvrages illustrés du genre, affirme que «le loup est assez commune bête, aussi n’y a-t-il pas lieu de le décrire, car il y a peu de gens qui n’en aient vu». Même si les loups ont disparu, chacun peut encore en voir partout, semblables à ceux que présente Martin Scorsese dans Le loup de Wall Street.
Benoit Robert, auteur de «quelques-unes des plus grandes transactions financières» au pays des érables, raconte dans un livre intitulé La finance et la quête du bonheur qu’il n’y a, dans ce milieu des loups d’aujourd’hui, «strictement aucune limite dans nos rapports avec les clients». Ce qui signifie qu’il dispose d’une carte blanche dans un bar huppé de danseuses nues; qu’il peut louer un avion au pied levé pour rencontrer des clients au Texas; qu’il offre des cigares, des grands crus ou tout ce qui peut potentiellement satisfaire ses affaires. Dans ce monde, explique-t-il, l’amour se vit à la sauvette dans les toilettes, l’alcool est servi dès le matin «par Basil, le majordome», et des implants mammaires sont offerts «aux secrétaires comme cadeau de Noël».
Jean-François Nadeau est journaliste et historien.