Mission impossible
Je relis chaque fois Filles-commandos bandées de Josée Yvon comme je revois le générique de Mission impossible. Je parle de la vieille série, déjà culte quand j’étais poupounette, passant en re-re-reprises, qu’on ne m’interdisait pas vraiment d’écouter, mais de laquelle on détournait mon attention pour mieux me ramener au petit écran, plus tard, à l’heure – 16 h, je n’oublierai jamais – du Bobino fait sur mesure. L’interdit suscite la curiosité. Et le générique d’introduction de Mission impossible, sublimissime dans le genre par la musique de Lalo Schifrin, devenait, avec les belles gueules pur flegme de Steven Hill et de Barbara Bain en background et le sentiment d’une censure par-dessus, un appeau à Catherinette.
Changez le décor. Au lieu de bijoux disparus, d’uppercuts à la volée, de messages secrets et de voitures rapides, je vois, lisant Filles-commandos bandées, dans un même montage serré clamant l’urgence, l’univers trash de la rue Ontario: Ginette en chaleur, seringues souillées, travestis trop jeunes au gun vengeur, cash mal gagné à la sueur de sa plotte, bière chaude, shots et hits, désespoir médicamenté, masturbation heureuse, lesbiennes du dimanche, putes, drogués, damnés, dopées. Et par-dessus, brûlante de gauche à droite au fil des pages, une mèche d’explosif. Cette mèche: les mots corrosifs, nitroglycériens du poème. De l’amadou allumé qui appelle d’une seconde à l’autre l’inéluctable explosion, la finalité, et qui pourtant ni dans Filles-commandos bandées ni dans le générique de Mission impossible ne survient.
Les poèmes de Yvon rejoignent une littérature du crachat, jamais loin de l’oralité, entre la catharsis et le syndrome de la Tourette. (Son conjoint Denis Vanier était aussi de cette non-école, comme, sur un autre ton, plus tard, Geneviève Desrosiers.) Poèmes vomis «dans une ville de malade», rejetés comme un poison du corps; mots lancés, tirés; insultes dans la colère, balles dans la mitraillette-Remington. Ces poèmes éclatent à l’opposé de la complaisance, de l’esthétique diplomate, de toute idée d’une conventionnelle «beauté» littéraire.