Critique – Cinéma

De la vache comme ciment social

C’est l’histoire de deux gars qui volent du lait pour faire des beignes. Ça peut paraître plate, dit comme ça. Mais c’est le dernier film que j’ai vu au cinéma avant le confinement, puis le premier que je suis allé (re)voir à la réouverture des salles. 2020 aura été une année de vaches maigres pour les cinéphiles, mais elle nous aura à tout le moins donné celle de Kelly Reichardt – ce qui est, en soi, bien assez pour en faire une grande année de cinéma. On préfère, après tout, avoir un film comme celui-là plutôt que des dizaines d’autres que je ne nommerai pas ici; c’est d’ailleurs pour cette raison que je suis retourné le voir dès que j’en ai eu la chance. En plein cœur d’une année où le simple plaisir d’aller en salle s’est subitement transformé en un impossible privilège, voici une œuvre qui nous rappelle la richesse potentielle de cette expérience.

Revoir un film, c’est faire le choix de l’habiter. Prendre le temps de s’y installer. Par sa lenteur, force est d’admettre que le cinéma de Reichardt se prête particulièrement bien à l’exercice. Son ampleur est ancrée dans la durée, sans qu’il s’agisse d’une posture chic relevant en fin de compte de l’imposture tendancieuse. Il y a, dans cette lenteur, quelque chose qui relève fondamentalement de la grandeur. Il n’y a d’ailleurs que l’écran de cinéma, le calme de la salle pour rendre pleinement justice à celle-ci.

First Cow, pourtant, n’a rien d’un film à grand déploiement. Il s’agit, au contraire, d’une œuvre parfaitement modeste malgré son ambition. Reichardt, par exemple, préfère l’ascétisme du ratio 4:3 aux panoramiques opulents du fameux format Cinema­Scope – auquel on associe, un peu à tort, le western traditionnel. Aux paysages spectaculaires du genre dans sa forme classique, la cinéaste préfère un rapport plus intime à la nature: quelque chose qui relève essentiellement du contact tactile. On sent ce parti pris jusque dans la manière dont elle nous présente Cookie (John Magaro), que nous rencontrons dans un sous-bois alors qu’il procède avec attention à la cueillette de champignons.

N° 329: Qui a peur des algorithmes?

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