Qui a peur des algorithmes?

Le bien commun à l’ère des algorithmes

La leçon de démocratie des joueurs d’échecs.

Les années 1990 furent une période angoissante pour celles et ceux qui gagnaient leur vie en jouant aux échecs (ou en les enseignant, en organisant des tournois, etc.). Alors que la popularité du jeu déclinait chez les jeunes, les algorithmes d’échecs étaient en pleine ascension. La machine, qui jouait avec une efficacité redoutable, sans jamais faire d’erreurs, commençait à vaincre les champions humains, et ce, même si sa réputation était de jouer sans grande stratégie. Est-ce que le bête calcul était suffisant pour venir à bout de la créativité des grands maîtres, de leur compréhension profonde du jeu, de leur brio élevant la joute au niveau de l’art? C’est dans ce climat d’inquiétude qu’IBM a organisé le fameux match opposant le champion du monde Garry Kasparov au superordinateur Deep Blue: un combat pour la survie même des échecs, pour la beauté, contre l’abrutissement algorithmique. Un combat que l’humanité a perdu. Ou du moins, c’est ce que l’on croyait.

En fait, la popularité du jeu a explosé après la défaite de Kasparov, comme le montrent les données que nous avons extraites du site web de la Fédération internationale des échecs. Comment expliquer ce revirement de situation? En quoi les algorithmes d’échecs ont-ils pu causer cet essor? La réponse se décline en trois points: les algorithmes d’échecs permettent d’apprendre, ils sont contrôlables et modifiables, et ils n’ont pas mené à une concentration de la richesse. En nous inspirant des échecs, nous articulons une vision du bien commun qui serait adaptée à un avenir où le numérique risque fort d’englober l’économie et la vie civique. Nous imaginons une informatique capable de redistribuer ses bénéfices selon trois axes clés: le sens, la liberté et les revenus. Pour la différentier de l’informatique dominante, nous la comparons avec le service de taxi Uber (tout en notant qu’à peu près n’importe quelle plateforme connue aurait fait l’affaire: Airbnb, YouTube, Facebook, etc.).

Quand la machine dépasse les maîtres

Avec la victoire de Deep Blue sur Garry Kasparov, les échecs vivaient leur crise de l’IA (intelligence artificielle). Au trente-sixième coup de la deuxième partie, point culminant de cette crise, la machine a rejeté l’option de capturer deux pions, préférant en capturer un seul et préserver un avantage stratégique. Le coup a tellement surpris Kasparov qu’il a accusé IBM de tricherie, une accusation aujourd’hui caduque, puisque la vision stratégique des algorithmes d’échecs modernes est reconnue comme largement supérieure à celle des humains. En effet, la communauté des échecs a su apprivoiser l’étonnante compétence des algorithmes, non seulement à trouver les meilleurs coups, mais aussi à les expliquer. La machine est devenue un outil pédagogique inestimable, permettant aux amateurs de mieux comprendre les parties des grands maîtres.

Titulaire d’un doctorat en informatique, Mathieu Bergeron enseigne la programmation au Collège Montmorency. Il est aussi l’auteur de coderatie.org, un plaidoyer pour la démocratisation du code source.

N° 329: Qui a peur des algorithmes?

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