Bifurcation

La journaliste et traductrice Véronique Dassas observe l’Italie, où elle vit, et renvoie à Montréal, où elle a longtemps vécu, un écho à la fois personnel et politique.

Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste, je suis combatif.

— Bernard Stiegler, au cours d’un dialogue avec Michel Serres organisé par Philosophie Magazine

Vous comptez votre argent, on comptera les morts.

— Sur une pancarte de la manifestation pour l’hôpital public dans une ville française, en novembre 2019

J’écris ces lignes au cours des derniers mois de cette année si particulière. Cette année 2020 a priori ronde et tranquille, mais qui s’est révélée tout autre. Comme quoi, on ne peut vraiment pas se fier aux chiffres.

Il s’agira ici assez peu des mutations virales, d’affres de confinés, de nombre de morts ou de délabrement des services de santé publique au Québec, ou en Italie, où je me trouve en ce moment. Une Italie hantée encore par les visages de tous ces vieux morts sans adieux et par les processions de camions militaires chargés de cercueils. Une Italie curieusement prudente, observant, incrédule, ses voisins espagnols ou français faire remonter les courbes des contaminations. «D’habitude, nous sommes les mauvais élèves; cette fois, ce sont eux», semblent-ils dire, mi-figue mi-raisin. Sans une goutte de triomphe, avec juste une incrédulité goguenarde et une bonne dose de fatalisme pour la suite.

On est passés comme un peu partout, dans les pays riches, d’une quête frénétique d’informations et de contacts, à l’angoisse de la mort qui rôde sans préavis (comme d’habitude, dira-t-on, mais quand même à un autre rythme), à la saturation désabusée, puis à la quasi-syncope devant les messages contradictoires. On a tous fini masqués dans les rues et sur les places, ivres au moindre souffle d’air frais, heureux de retrouver enfin l’extérieur de la maison, de la chambre, de la famille et même (enfin) l’anonymat des villes, la gaieté un peu factice des fêtes.

On est aujourd’hui encore dans une sorte de pause dubitative après le grand cafouillage de ces derniers mois.

L’ex-premier ministre français Édouard Philippe a fort bien exprimé ce qui nous est arrivé en laissant sa langue fourcher pour produire la plus belle contrepèterie de l’histoire du cirque, devant une Assemblée nationale aux trois quarts vide, le 7 avril dernier. «Le circus virule», a-t-il déclaré, sans avoir le temps de rire et il s’est repris en vitesse, l’anecdote donnant finalement un portrait assez juste de la scène politique: un grand vide de la représentation et de l’esprit. Et pourtant, même là, l’inconscient est entré en scène sur un coup de théâtre ou, mieux, sur un coup de génie.

Et en effet, le circus virula.

N° 329: Qui a peur des algorithmes?

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