Critique – Scènes

Ralentir travaux

Une brèche temporelle, témoin de l’inégalité du droit à respirer, s’est violemment ouverte ces derniers mois: corps privés de souffle par le virus, sélection des malades pouvant bénéficier d’un respirateur, assassinat de Georges Floyd par asphyxie. C’est dans ce monde catastrophé, suffocant mais paradoxalement devenu respirable, que les deux festivals d’art vivant au sein desquels nous œuvrons ont choisi de tenir bon. Le Festival TransAmériques (FTA) après avoir imaginé une édition numérique alternative, a finalement choisi de ne conserver que quelques gestes inspirés de sa programmation initiale: une série de quatre balados, sous forme d’entretiens, intitulée «Habiter la vie»; un ensemble de carnets, signés par Martin Faucher, dans lequel le directeur artistique rend hommage aux spectacles annulés en distillant leur découverte. Pour sa part, le OFFTA, a métamorphosé sa 14e édition pour proposer un festival «déconfiné», articulé autour d’une quinzaine de propositions artistiques inédites, d’une radio et d’espaces d’échanges quotidiens entre artistes et professionnel·les nationaux et internationaux.

Nos métiers d’accompagnement des pratiques artistiques exigent une passion du contexte: d’où crée-t-on? À partir de quelle réalité, de quelle respiration possible, de quel souffle commun? De quelle(s) urgence(s)? De quelles contraintes? Pour qui et vers qui? Appréhender, sentir, écouter: ainsi naissent les approches expérientielles. Or, le virus a infiltré tous les espaces, y compris les imaginaires. Il a obscurci la lecture du contexte, rendant nos principaux outils inopérants, paralysant nos réflexes habituels, nous laissant dans l’incapacité de circonscrire nos champs d’actions d’après une topographie initiale. Adeptes du décalage et de la rumination lente, nous proposons ici une réflexion dans l’après-coup, tissée d’après nos petits espaces aussi indéfinis que confortables appelés dramaturgie.

Habiter la crise

Dans le monde prépandémique, les mois de mars et d’avril sont consacrés aux derniers préparatifs de «nos» festivals respectifs. Alors que plusieurs, ici et ailleurs, appelaient au silence, à un temps d’arrêt, ou encore à la jachère, FTA et OFFTA se sont positionnés rapidement, en avançant des motifs essentiellement économiques et symboliques: quelque chose aurait lieu, pour assurer la rémunération des équipes et des artistes et tenter de garder un lien vivant avec le public. Les flamboyants vaisseaux que sont nos festivals ont foncé dans cette tempête, et nous avec eux, tant bien que mal. Pour arriver à bon port en mai en carburant à l’urgence, la navigation s’est faite vaillamment, mais sans boussole. Elle a quelques fois donné l’impression que ces navires créatifs ne sont pas si différents d’autres «machines» du monde, pressés de produire, de gronder et d’être regardés. La métaphore de la machine fabriquée en plein vol nous a été servie trop souvent. Et à vrai dire, l’image qui soutient le mieux nos impressions est plutôt celle du radeau, embarcation précaire, bricolée avec ce qu’on a sous la main et susceptible d’être arrachée par le vent.

N° 328: La disparition du ciel

La suite de cet article est protégée

Vous pouvez lire ce texte en entier dans le numéro 328 de la revue Liberté, disponible en format papier ou numérique, en librairie, en kiosque ou via notre site web.

Mais pour ne rien manquer, le mieux, c’est encore de s’abonner!