Saint-André-d’Argenteuil sous les crues
Lorsque, deux fois en trois ans, une anomalie météo à l’occurrence centennale jette son dévolu sur une petite localité des Basses-Laurentides, certaines séquelles invisibles se révèlent plus profondes et complexes qu’un peu d’eau dans un sous-sol. En avril 2020, en pleine pandémie de covid-19, le village de Saint-André-d’Argenteuil guettait attentivement le débit des rivières du Nord et des Outaouais, par crainte de vivre une nouvelle période de crues printanières destructrices. Même si l’eau a épargné Saint-André cette année, la vie n’est plus tout à fait la même dans ce petit village de 3 000 âmes frappé de plein fouet par les changements climatiques.
C’était au début des années 1980, en février, au plus creux de l’hiver. Des températures anormalement élevées, jumelées à des pluies diluviennes de plusieurs jours, avaient alors formé un embâcle sur la rivière du Nord. Un phénomène de cocktail météo, à l’origine d’importantes inondations hivernales. Résultat: la rue Principale, le stationnement de l’église et la cour de l’école primaire ont été subitement envahis par de massifs blocs de glace échappés de leur lit. J’avais neuf ans. Je me souviens des rassemblements de villageois concernés, incrédules devant cette invasion de glace qui avait métamorphosé en une nuit notre paisible coin des Basses-Laurentides. Il y avait le maire Vaillancourt, solennel homme d’affaires grisonnant en complet, qui évaluait la situation avec un œil autoritaire. À ses côtés, le curé, les marguilliers et le concierge de l’école primaire, qui contemplaient et commentaient ces massifs intrus translucides qui immobiliseraient la vie du village pendant plusieurs jours.
Claude Haspeck, natif de Saint-André-d’Argenteuil et propriétaire d’une petite maison riveraine, évoque comment ces inondations ont endommagé la maison de son père et ainsi marqué au fer rouge l’histoire de sa famille. «À ce moment-là, on a compris que l’eau, c’est quelque chose de follement puissant.» Cet événement catastrophique découlant d’une météo détraquée s’est trouvé reproduit dans les albums de photos de familles et de nombreux dessins d’enfants. Cet hiver-là, la rivière a retrouvé son lit et l’écologie sociale, naturelle et politique de Saint-André a renoué avec sa tranquillité rurale pendant plus de trois décennies.
Sylvie St-Jacques est journaliste indépendante et chercheuse doctorale en Global Development Studies à l’Université Queens à Kingston, en Ontario.