Critique – Cinéma

Les communautés de Sophie Deraspe

Au cours des dernières années, l’œuvre de Sophie Deraspe s’est progressivement imposée comme l’une des plus importantes du cinéma québécois contemporain. Il y a, certes, le récent succès d’Antigone (2019), mais au-delà de ce titre, on découvre une filmographie dense et complexe, qui n’a rien à envier à celles de Denis Côté, Xavier Dolan, Anne Émond, Maxime Giroux, Simon Lavoie ou Sébastien Pilote, d’autres figures de proue du renouveau de notre répertoire cinématographique, qui ont émergé au tournant des années 2000.

Ce qui, en particulier, distingue l’œuvre de Deraspe est ce désir, toujours ingénieusement renouvelé, de jouer avec l’histoire des codes esthétiques du cinéma afin de sonder ce qui constitue le fil narratif du présent. Chez elle, les sujets actuels – le droit à la mort, l’identité virtuelle, l’écologie, le multiculturalisme – sont non seulement abordés dans les films, mais tout au long de la fabrication de ceux-ci. Un thème récurrent chez Deraspe est celui de la fragilité de toute communauté. Comme l’a montré Étienne Beaulieu dans son bel essai Sang et lumière (2007), il s’agit d’un thème fondateur du cinéma québécois, que l’on retrouve dès les documentaires artisanaux de Maurice Proulx jusqu’à la cinématographie contemporaine. Sophie Deraspe s’inscrit dans ce sillage, y apportant un regard neuf: chez elle, penser la communauté devient indissociable de tout geste cinématographique. Elle s’intéresse à notre rapport aux images et à la création dans un sens large.

La communauté de l’art

Vrai documentaire sur un faux artiste, Rechercher Victor Pellerin (2006) est une enquête sur le rôle des artistes dans la société contemporaine, ainsi qu’une réflexion sur les différentes structures nécessaires à la construction et à la légitimation du sens, en communauté. Rarement a-t-on pu voir au Québec un premier long métrage aussi juste, précis, qui évite l’écueil de vouloir tout dire et tout montrer d’un coup. Entre documentaire et fiction, le film travaille sur les non-dits, les ellipses et les figures absentes. En effet, cette incursion dans le monde des artistes, des mécènes et des collectionneurs se fera par la poursuite d’une chimère, car Victor Pellerin – coup de théâtre! – n’existe pas.

S’offrant le rôle intradiégétique de l’enquêteuse, la cinéaste part donc à la recherche de l’origine de notre fascination pour les icônes, pour ensuite arriver à une conclusion paradoxale: rien ne fascine autant que le vide. La véritable attraction des images émane de leur centre absent. Ainsi, c’est par son absence que Victor Pellerin dynamise la communauté artistique dans laquelle il s’inscrit, et que la réalisatrice dépeint comme un monde quelque peu hystérique, sans pour autant le critiquer. C’est là, d’ailleurs, une des grandes forces de l’œuvre de Sophie Deraspe: elle scrute des réalités et des pratiques, parfois déconcertantes, mais réserve toujours son jugement. Sa démarche est bien plus subtile. Dans le cas de Rechercher Victor Pellerin, on explore une illusion afin de montrer le chemin complexe qui mène à la production d’une vérité en art.

N° 327: Le temps des enfants

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