Ma généalogie du théâtre québécois
Quelque part en 2017, j’ai su que le film Situation du théâtre au Québec existait et j’ai mis la main sur une version numérisée des bobines du film conservées aux archives de BAnQ. Mon exploration du contenu et du contexte de production de ce bijou étrange s’est faite par à-coups, lors d’une enquête hésitante.
Commandé par le ministère des Affaires culturelles, Situation du théâtre au Québec a été réalisé en 1969 par le documentariste Jacques Gagné et coproduit par l’Office du film du Québec et le cinéaste Claude Fournier. Le documentaire présente onze tables rondes réunissant plusieurs personnalités influentes du milieu théâtral des années 1960 autour de grandes questions esthétiques et politiques liées à la pratique théâtrale. Chaque discussion est présentée par un artiste différent: Yvan Canuel aborde le geste, Françoise Loranger, l’écriture, Jean-Claude Germain, le théâtre et l’engagement, Olivier Reichenbach, les techniques, André Brassard, la direction, Jean-Louis Roux, le répertoire, Dyne Mousso, les rôles et les personnages, Guy Beaulne, la formation, Marcel Sabourin, l’enseignement, et Michelle Rossignol, la fonction du comédien. D’autres artistes se joignent à ce noyau central au fil des conversations, qui se déroulent autour d’une grande table installée dans un studio plongé dans la pénombre, ou bien participent aux nombreux segments mis en scène pour la caméra. Cent douze minutes de précieuses archives.
Les panélistes, tirés à quatre épingles, exposent autour de la table leur vision des thèmes abordés. Certains font la lecture de notes avant de réagir aux interventions des autres. Au sujet de la formation des interprètes, le metteur en scène Guy Beaulne affirme qu’elle doit être enrichie par des «maîtres» venant de différents pays afin que soient transmises aux artistes de nouvelles techniques. Paul Buissonneau, cofondateur du Quat’Sous, souligne l’incohérence de la démarche de ceux et celles qui se proclament révolutionnaires, mais sont néanmoins à l’origine d’un théâtre conventionnel. Pour aborder la direction d’acteurs, le comédien et metteur en scène Jean-Louis Roux, personnage important du documentaire aux interventions tantôt ultra-sensibles tantôt réactionnaires, présente son approche basée sur la provocation et la critique. Acquiesçant à cette posture autoritaire, Dyne Mousso, l’une des rares femmes participant à ces tables rondes, mentionne qu’elle souhaite un metteur en scène ferme lui dictant ce qu’elle doit faire. Comme la comédienne a essentiellement fait de la figuration jusque-là, sa parole n’a pas la charge à laquelle on pourrait s’attendre dans un film tourné à l’aube du théâtre féministe, qui s’affirmera quelques années plus tard. D’ailleurs, en regardant défiler ces panels de mâles blancs fumant dans un décor obscur, on pressent l’urgence de l’arrivée des femmes dans le portrait.