Critique – Littérature

La catastrophe a déjà eu lieu

En mars 2011, deux semaines après l’accident nucléaire de Fukushima, l’écrivain William T. Vollmann s’est rendu dans la zone évacuée, muni d’un dosimètre, pour constater par lui-même l’ampleur des dégâts, malgré les risques évidents pour sa santé. Cette démarche journalistique radicale définit l’ensemble de son œuvre, où il cherche à comprendre la misère et la violence du monde en s’en approchant, observateur fasciné, soucieux d’en résoudre l’énigme. Ainsi, en 1982, il s’est joint à un groupe de moudjahidines afghans pour comprendre le conflit qui les opposait à l’Union soviétique, une aventure relatée dans son premier livre de non-fiction, An Afghanistan Picture Show: Or, How I Saved the World (1992). Une trentaine d’années plus tard, Vollmann fait paraître Rising Up and Rising Down: Some Thoughts on Violence, Freedom and Urgent Means (2003), un essai de sept volumes à l’ambition totalisante portant sur les causes, les conséquences et les enjeux éthiques soulevés par les différentes formes de violence qui ont marqué l’histoire et qui affligent toujours l’humanité. Dans Poor People (2007), l’auteur s’intéresse à la pauvreté en interviewant des gens rencontrés aux quatre coins du monde: «Vous considérez-vous comme pauvre?», «Pourquoi êtes-vous pauvre?».

En 2018, Vollmann publie un ouvrage qu’il présente comme le troisième sommet d’un triangle: après la violence et la pauvreté, il se penche sur la crise climatique, plus spécifiquement sur les «idéologies du carbone» qui en sont la cause. Peu importe le sujet, la méthode reste la même: «Les trois volumes utilisent l’induction afin de passer de l’étude de cas subjectifs à l’élaboration de catégories analytiques du phénomène observé.» (Je traduis les citations.) Cette précision est importante, car, pour Vollmann, la compréhension passe par l’observation. Sa méthode inductive place les cas individuels au centre de ses réflexions, car ce sont eux qui permettent de comprendre comment on devient acteurs, spectateurs, victimes ou bourreaux des phénomènes étudiés. Ces livres, tout en affichant des visées scientifiques, reposent ainsi sur une approche littéraire héritée du new journalism, où l’auteur, loin de prétendre à l’objectivité, met en scène une subjectivité qui doute et qui est elle-même le jouet des forces qu’elle cherche à comprendre.

Notre présent, dit Vollmann, a «déjà disparu», et l’auteur adresse son ouvrage aux humains du futur en tenant pour acquis que la catastrophe a déjà eu lieu: «Un jour peut-être pas si lointain, les habitants d’une planète plus chaude, dangereuse et biologiquement plus pauvre que celle sur laquelle j’ai vécu pourraient se demander ce que vous et moi pensions, ou même si nous pensions tout court. Ce livre est pour eux.» Pour Vollmann, la catastrophe climatique est inévitable, et il s’agit moins de trouver les moyens de l’éviter que de comprendre comment l’humanité a pu, sans réaliser la gravité de la situation, saccager en quelques décennies un monde dont les ressources lui semblaient inépuisables.

N° 326: 60 ans de luttes et d’idées

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