Petite histoire du syndicalisme québécois
En 1959, les plaques tectoniques du syndicalisme québécois ont déjà commencé à se déplacer, et cela, en parallèle avec l’éclosion d’une volonté collective de modernisation de l’État et de ses institutions. Dans chacune des grandes centrales, des mouvements se dessinent. La Confédération des syndicats nationaux (CSN, ex-Confédération des travailleurs catholiques du Canada) se prépare à parfaire son processus de déconfessionnalisation, à laisser tomber les encycliques et à reconnaître la légitimité du travail féminin. La Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) – le nom sera féminisé lors du congrès de 1985 –, fusion des syndicats de métier et industriels d’origine nord-américaine, vient tout juste d’être mise sur pied et s’engage pour sa part dans un processus qui la mènera à devenir une organisation totalement québécoise. La Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ, future Centrale des syndicats du Québec), héritière d’un premier syndicat de «maîtresses d’école», s’apprête à jeter aux oubliettes son caractère confessionnel et corporatiste. Ce sont là des mouvements profonds qui vont culminer au début des années 1970. Certes, des conflits très médiatisés ont auparavant ébranlé le syndicalisme et la paisible société québécoise (Thetford Mines, Murdochville, les vendeuses de Dupuis Frères…), mais, à l’orée des années 1960, c’est bien d’une régénérescence qu’il s’agit.
Refaire ce parcours syndical en interrogeant à la fois les rapports du mouvement ouvrier à l’État et ses interactions avec le monde des idées permet de mieux comprendre ce qu’est devenu le syndicalisme aujourd’hui.
La gestation (1959-1969)
Les années 1960 voient des transformations politiques et sociales majeures s’opérer au Québec, depuis la nationalisation de l’électricité jusqu’à la création des cégeps et de l’Université du Québec en passant par la construction d’un État québécois digne de ce nom et de la fonction publique qui l’accompagne. Parallèlement, des mouvements sociaux d’envergure se constituent, en particulier autour des enjeux de l’indépendance et de la langue française, ainsi qu’à travers le mouvement étudiant.
Thomas Collombat est professeur de science politique à l’Université du Québec en Outaouais. Ses recherches portent sur les dimensions sociopolitiques du syndicalisme, notamment au Québec et en Amérique latine.
Mona-Josée Gagnon est sociologue. Elle a travaillé au service de la recherche de la FTQ avant de devenir professeure au Département de sociologie de l’Université de Montréal, dont elle est aujourd’hui retraitée.