Critique – Cinéma

On s’en souviendra

En fouinant dans les archives de l’ONF – dont on vient de dépendre «l’homme qui voit» («qui voyait»?) – et en disposant des images à sa guise, Luc Bourdon nous invite à fouiller dans notre mémoire – des lieux et des films – pour mesurer le chemin parcouru. Les perles qu’il dégote et qu’il enfile ne font pas que rappeler le Montréal des années 1950 et 1960, mais nous révèlent quelque chose de plus. En faisant résonner le travail des artisans de notre passé avec nos problèmes actuels, il laisse entendre qu’ils et elles n’ont pas seulement été les archivistes de leur présent, mais aussi les prophètes du nôtre. Ainsi, nul besoin de voix hors champ, car le commentaire se trouve, non dans les images (on se complairait dans la contemplation nostalgique), mais dans leur raccord (qui transforme le tout en virulent propos politique).

Il ne faut pas prendre à la légère les images par lesquelles le film s’ouvre: une usine crache des nuages obscurcissant le ciel de la métropole au milieu desquels apparaît la sculpture d’un ange (dont le titre dit qu’il est garant de la mémoire). Si ces images – symboles de l’ère dont nous payons le prix – valorisaient les industries qu’on se donnait, elles prennent dans le film de Bourdon une couleur moins chatoyante, assombries par l’air de Jericho, dont les murailles s’effondrèrent, la population périt et la réputation souffrit. Et comment ne pas sentir l’apocalypse annoncée quand on enchaîne avec un Vieux-Montréal en Technicolor dont un raccord dans l’axe – nous permettant de prendre du recul – laisse apercevoir un immeuble sur lequel s’affiche «La sauvegarde» d’une compagnie d’assurance? Qu’est-il advenu de notre patrimoine? Voilà la question qui est mise sur les rails et dans laquelle s’ancrera le film, ce que permettent de confirmer les trains qui annoncent les bateaux, dont l’équipage qui en débarque se fait demander (premières et rares paroles du film): «Vous allez faire du tourisme?»

La réplique n’est pas anodine. C’est maintenant un lieu commun: Montréal appartient aux touristes. Si on a pris soin, à l’époque, de filmer le fleuve Saint-Laurent et la rue du même nom pour établir que Montréal était une ville portuaire et non mortuaire, le raccord du port grouillant de débardeurs au port en carton-pâte dans lequel Gisèle Laflèche chantonne sa mélopée nous convainc que cette capitale n’est plus qu’un numéro. Et l’on comptera les lieux qui furent, à leur époque, organiquement formés, et qui ont été, à la nôtre, impunément dégauchis (ou sur le point de l’être) pour les affranchir de toutes anfractuosités sur lesquelles les touristes pourraient trébucher. Montréal est une ville de spectacles, pour preuve ces gens qui, pendouillant à leurs fenêtres, épient les constructeurs détruire et les bâtisseurs démolir.

N° 325: 60 ans de luttes et d’idées

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