Revaloriser l’action militante
À Calgary, là où j’habite depuis bientôt cinq ans, je n’hésite jamais à me présenter comme une militante. Crasher une manifestation anti-choix, me joindre à la marche alternative de la Fierté et engueuler des groupes chrétiens venus nous dire «God hates fags», assister à des manifestations diverses sont des activités auxquelles je participe le plus souvent possible. Il y en a bien trop peu, que je me dis toujours: les camarades ont besoin d’allié·es. Puis, après tout, c’est 2012 qui m’a formée. Au moment même au j’écris ce texte, ma ville est perdue dans un immense nuage de fumée alors que des incendies de forêt, dont on sait que le réchauffement climatique est en partie responsable, font rage. Tant et si bien que des évacuations sont nécessaires et que la population est privée de son besoin le plus élémentaire: respirer. Malgré cela, le premier ministre Kenney révoquait il y a quelques jours à peine la taxe carbone.
Je me suis souvent demandé ce que valait ce militantisme que je place au cœur de mes échanges calgariens et de mon engagement citoyen. Plus les années passent, moins je suis optimiste quant au sort du monde: l’environnement, la pauvreté, le droit des femmes – je ne mentionne rien de nouveau. Tout va mal et le cynisme gagne les troupes. C’est sans doute pour cette raison que j’étais sceptique en entamant le livre de Pascale Dufour et de Lorraine Guay. Qui sommes-nous pour être découragées? nous interpelle d’entrée de jeu par son titre. Qui suis-je donc? Je suis une citoyenne progressiste de l’Alberta, une militante pro-choix de l’Alabama, un jeune gai en thérapie de conversion au Wyoming, une professeure de sociologie au Brésil, une médecin qui met en place des programmes sociaux visant la réduction des méfaits dans l’Ontario de Ford. Étant tout cela, oui, je suis parfois, souvent, découragée. Mais bien qu’il s’attache à retracer le parcours militant exceptionnel de Lorraine Guay, Qui sommes-nous pour être découragées? ne propose pas d’envisager l’engagement comme une chose du passé, mais plutôt comme un mode d’existence toujours nécessaire aujourd’hui et plus encore demain. Entre l’essai, l’entretien et les mémoires, ce livre nous enjoint à reconnaître l’héritage dont nous sommes les légataires, c’est-à-dire celui des luttes que d’autres ont menées avant nous. Il s’agit certes d’un axiome dans le discours militant, une sorte de rhétorique de la filiation au fondement du leitmotiv souvent scandé: «On avance, on avance, on ne recule pas!» Mais pour Lorraine Guay, c’est plus que cela, plus qu’une formule ou un lieu commun; il s’agit d’un devoir moral.