Critique – Littérature

La quête du profit

Il s’agit d’aller quelque part pour trouver quelque chose. En général, comme nous l’a appris Paulo Coelho, ce qu’on cherche est juste là, sous nos pieds, avant même que l’on parte. Antoine de Saint-Exupéry martèle quant à lui, les yeux pleins d’étoiles: «Ce qui importe, ce n’est pas d’arriver, mais d’aller vers.» Au fond, c’est un peu comme la description que fait Joseph Vogl, paraphrasant Max Weber, de notre système boursier en ces temps de capitalisme tardif: «Une personne qui n’a pas une marchandise, ne l’attend pas et ne veut pas l’avoir, vend une marchandise à une personne n’attendant pas non plus cette marchandise, qui ne veut pas l’avoir et ne la recevra effectivement pas.» Le profit réside moins dans l’objet que dans le chemin qui mène à.

Dans Tout savoir sur Juliette d’Érik Vigneault, on accepte cette règle de la virtualité des échanges pour s’égarer, investir et surinvestir à côté de la marchandise – la Juliette éponyme –, tout cela contribuant, à terme, à ce qu’on ne sache rien ou presque sur elle. Le narrateur, frappé parfois de lucidité, nous rappelle les méandres de sa quête: «J’étais à repenser aux événements des derniers jours et pourtant je pensais surtout à ces quinze millions d’animaux envoyés à la boucherie de la Première Guerre mondiale, à ces trente millions de sacrifiés à l’abattoir de la Deuxième […], je pensais au zoo de Belgrade bombardé par les nazis en 1941 […], et je pensais surtout à Rembrandt Bugatti, grand artiste sculpteur, issu de la célèbre famille Bugatti, frère d’Ettore, oncle de Jean qui se suicidera à trente ans, qui se suicide en pleine guerre en 1916 après qu’on a fait boucherie avec les animaux du zoo d’Anvers dont beaucoup avaient été ses modèles, ses confidents, ses seuls amis – à trente et un ans.» Dans sa quête de Juliette, femme évanescente, le narrateur en voyage à Barcelone bifurque beaucoup: c’est ce qu’on appelle un portefeuille diversifié.

Très différemment, Françoise en dernier de Daniel Grenier présente une ligne claire, aussi bien dire classique. Au contraire de L’année la plus longue – qui avait le souffle d’un REER –, ce roman se contente – manière d’économiser – de raconter l’enfance, puis la quête adolescente de Françoise, quête farfelue, néanmoins existentielle, qu’elle mène à terme ou presque. En effet, sur la piste d’Helen Klaben, glorieuse oubliée, survivante d’un écrasement d’avion aux confins du Yukon quelque trente-cinq ans plus tôt, Françoise vogue sur les airs du récit d’initiation. Les kilomètres sont traversés pour que la jeune héroïne devienne la femme qu’elle rêverait d’être: «[Françoise] aurait aimé donner l’impression, l’avoir, être cette fille-là, qu’elle avait sauté dans un wagon de train en marche. […]. Mais au pire elle le raconterait quand même, en choisissant les couleurs du train de marchandises.» La simplicité désarmante du roman de Daniel Grenier nous laisse imaginer que tout y est si simple parce que tout se passe en 1997: avant que notre mode de socialisation soit régi par les hypertextes et leurs algorithmes.

N° 325: 60 ans de luttes et d’idées

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