Critique – Littérature

Initiation à la sorcellerie politique

Automne 2018. Des sorcières se réunissent dans une librairie de Brooklyn pour jeter un sort à Brett Kavanaugh, tout juste élu à la Cour suprême américaine alors qu’il est accusé d’agression sexuelle. En résidence au centre DARE-DARE à Montréal, j’écris sur la guérison collective de la culture du viol. Puisqu’elles jettent des sorts aux agresseurs, les sorcières du féminisme occidental contemporain peuvent-elles me guider? Des amis me suggèrent de poser la question à Marie-Andrée Godin, une artiste et poétesse québécoise dont les œuvres abordent la sorcellerie depuis plusieurs années. «Quels liens pouvons-nous tisser entre magie et post-capitalisme?» se demande-t-elle dans son plus récent cycle de recherche, WWW³, qui «vise à penser collectivement nos futurs». Dans un café sur la rue Beaubien, me voici soudain initiée, si ce n’est à la sorcellerie, au moins à sa dimension politique. Mais pour mieux comprendre ses liens serrés avec la lutte anti­capitaliste, je dois entreprendre un voyage littéraire.

Il existe en Norvège un monument aux morts rendant hommage aux victimes des chasses aux sorcières: le monument de Steilneset, en partie conçu par l’artiste Louise Bourgeois. Elle y a installé une chaise en métal sur laquelle brûle une flamme. Asseoir une femme soupçonnée de sorcellerie sur une chaise de fer et allumer un feu sous elle pour lui rôtir la peau est une des nombreuses méthodes de torture qui ont été utilisées à la Renaissance pour faire avouer à des innocentes leur servitude au Diable. En Europe, au cours de la période de transition du féodalisme vers le capitalisme, 100 000 à 200 000 personnes ont été condamnées au bûcher ou ont succombé aux mauvais traitements pendant leur procès pour sorcellerie. On trouve ces chiffres dans le livre de Silvia Federici, Caliban et la sorcière, déjà recensé dans les pages de Liberté au printemps 2015.

Federici explique que la chasse aux sorcières demeure l’un des phénomènes les moins étudiés de l’histoire européenne. En effet, mes cours d’histoire à l’école n’ont jamais mentionné l’existence d’un génocide lorsqu’ils ont abordé la Renaissance, une époque présentée comme humaniste et riche, et pendant laquelle a pourtant eu lieu la chasse aux sorcières. Selon Federici, cette indifférence a frôlé la complicité, «laissant penser qu’il s’agissait d’un phénomène mineur, voire une affaire de folklore». Depuis le maccarthysme, l’expression «chasse aux sorcières» a par ailleurs été plusieurs fois reprise hors contexte, vidée de sa référence au féminicide initial, jusqu’à son emploi honteux pour commenter le mouvement #MoiAussi.

N° 325: 60 ans de luttes et d’idées

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