Joséphine Bacon
Dignes femmes illégitimes
Il y a de ces témoins qui se révèlent avec le temps. C’est comme si, à l’époque où ils ont été surpris sur une photo qui capte un événement, leur visage n’avait pas d’importance et leurs lèvres muettes se devaient de rester silencieuses pour toujours. Il y a des témoins qui n’ont pas le poids des histoires qu’ils portent. Leur regard n’est pas légitime. On les suspectera de déformer la réalité parce qu’étant eux-mêmes des objets, ils sont hors de l’objectivité. On ne dira pas qu’ils voient autre chose, autrement. Dans l’ordre du discours, leur parole est irrecevable: «nous ignorons […] la volonté de vérité, comme prodigieuse machinerie destinée à exclure», disait Foucault.
Le regard que je m’apprête à rapporter vient de loin dans le temps. C’est le regard de Joséphine Bacon, en 1969, alors qu’elle n’a que vingt ans et qu’elle est depuis peu à Montréal. Elle ne sait pas grand-chose du monde à l’extérieur des pensionnats. Il y a les miracles de Jésus (mon favori, c’est la multiplication du pain), mais, pour le reste, personne ne l’a préparée au monde.
La voilà à la place des Nations durant un lumineux mois de juillet. Elle va voir une femme qu’elle a entendue chanter. Une amie lui a fait écouter un album. Elle aime cette voix, inclassable et dérangeante. Cette femme, c’est Nina Simone.
Lorrie Jean-Louis est née à Montréal de parents haïtiens. Détentrice d’une maîtrise en littérature, elle poursuit des études en bibliothéconomie. Elle se consacre à l’écriture.