Neveurmagne
En janvier 1959, j’ai quatorze ans et à l’automne qui viendra – quand mourra Duplessis le 7 septembre à Schefferville – je vais entrer au Petit Séminaire de Rimouski où il est sous-entendu que l’on puisse faire de certains garçons des prêtres; c’est là où, dès la seconde année, en syntaxe, une classe que l’on me fera redoubler, je serai dûment qualifié de «mauvais esprit». Je riais trop, j’avais un inséparable dont on me séparera, il y eut interdiction d’être ensemble, mais, comme nous étions des «externes», notre liberté demeurait totale hors des murs de l’établissement, nous allions rimbaldant, cheveux mal en ordre et semelles de vent, dans la ville qui fut celle de l’enfant Arthur Buies. Le fleuve était notre ami le plus sûr.
Mon inséparable et moi – qui avions fait nos études primaires dans une école privée et laïque dirigée par des femmes venues de France – étions plus au fait de l’histoire de la France que de celle du Canada et ce n’est qu’en 1963 que j’allais m’intéresser à la question du Québec, quand j’entendrais prononcer par mon ami le nom de Pierre Bourgault. Au coin de la rue Notre-Dame et de la rue Bellavance, je nous vois encore, notre marche interrompue et lui, plus politisé que moi, qui m’explique ce que ce jeune homme de vingt-neuf ans soulève, explique, ambitionne, et nous allions vite convenir, en l’observant, en l’écoutant, que cet albinos flamboyant serait notre Saint-Just pour haranguer le peuple francophone d’ici, l’amener à prendre les chemins de l’émancipation et de l’indépendance, autrement dit choisir les chemins de la liberté (la trilogie sartrienne que nous allions lire avant d’avoir vingt ans).
Puis – à défaut de guerre d’indépendance – il y avait les chansons, Leclerc, Vigneault, ce René Lévesque de Point de mire et de la nationalisation de l’électricité qui, au pas de charge, quittera les libéraux réunis au Château Frontenac, ensuite se jouera la grande scène du balcon du général Vous Savez Qui, puis comme en écho le vif «Vive le Québec libre!» de Pauline Julien lancé à Niamey, les romans d’Aquin, de Marie-Claire Blais et de Jacques Poulin, les Nègres blancs d’Amérique et puis ma lecture enfin de La question du Québec de Marcel Rioux, qui était né à Amqui comme mon père et qui avait, en tant que pensionnaire, fait le Petit Séminaire de Rimouski bien avant nous, et finalement – fors la crise d’Octobre de 1970 qui allait nous exciter grandement puis nous dépressuriser violemment à l’ouverture d’une malle arrière avec cadavre – voilà que, ressaisi, puis ragaillardi par deux Saint-Jean-Baptiste massives et festives sur la montagne («un peu plus haut, un peu plus loin»), j’allais, jeune journaliste de trente et un ans à Québec-Presse, me retrouver fier et droit dans mes bottes le 15 novembre 1976 à l’aréna Paul-Sauvé au milieu d’une foule émerveillée d’elle-même et jamais si fière d’être québécoise…