Petite histoire en boucle
Mon pays, pour moi, c’était toi; toi fils du pétrin, moi fils de batellerie; toi de la terre stable et moi du fleuve fluent; toi, d’ici, depuis toujours, moi, hélas, de nulle part, errant, émigré, sans feu ni lieu. Pierre, tu étais devenu peu à peu mon lieu et mon feu, mon retour au pays.
— Michel Serres, à la mort de son ami Pierre Gardeil
À mes amis du temps qui ne sont plus mais le seront toujours.
Je ne suis pas historienne, pas sociologue, pas politologue et j’ai avec l’histoire des idées une sorte de rapport passionnel et hypnotique qui doit évidemment rester privé. Mais, à la rigueur, je suis journaliste, ce qui revient à raconter de petites histoires prises sur le vif, les histoires des autres souvent, ou les miennes, plus ou moins documentées, pour rapporter les traits, les idées, les aventures d’une époque…
Au Québec j’ai appris mon métier sur le tas – en découvrant cette Amérique française dont je ne connaissais rien – à la fin des années 1970, dans un moment d’effervescence où partout on discutait de peuple, de nationalisme et d’indépendance. Des choses que je n’avais entrevues que sur le registre de la tragédie: le peuple juif, le national-socialisme; ou sur celui de la perplexité: l’indépendance du Pays basque, de la Bretagne ou de la Corse.
Au Québec, j’ai pris conscience de là où j’étais née (en France) et de la difficulté à porter comme une croix cette culture dominatrice qui était censée être la mienne. J’ai compris que cette identité, que j’ignorais avoir, les autres, eux, l’entendaient. J’en vins assez rapidement à souhaiter devenir Slovène ou Chypriote et n’y parvins pas. Mais à l’horrifique question: d’où tu viens, toi? je pris l’habitude de répondre: je suis Française d’origine juive, ce qui était vrai, mais relativement nouveau dans cette formulation, même pour moi, et donnait à mon identité requise une aura minoritaire.
Au Québec, j’ai appris à réfléchir sur l’identité et, avec mes amis québécois, à n’en pas faire une affaire d’État.