Trente-sept ans, jamais sorti l’hiver
Avant ce printemps, a-t-on déjà songé à décrocher le crucifix de l’Assemblée nationale? En novembre 1946, des témoins de Jéhovah en appelaient à son retrait dans leurs brochures. Maurice Duplessis avait alors réagi vigoureusement, prétextant ce que prétexteront plusieurs de ses successeurs: «Nous sommes dans une province qui a toujours été profondément attachée à ses traditions et à ses convictions religieuses, non pas d’une manière étroite et mesquine, non pas de façon déplacée, mais conformément à nos droits et à la constitution du pays [sic].» Autrement dit: c’est notre héritage, notre passé, notre patrimoine. Plus récemment, à la fin des années 1990 ou au début des années 2000, le ministre André Boisclair aurait également, dit-on, proposé son retrait. La réponse du premier ministre, Lucien Bouchard, aurait été cinglante: il ne jouerait pas le rôle de saint Joseph d’Arimathie, celui-là même qui avait décroché Jésus de sa croix et avait recueilli son sang.
Depuis la crise des accommodements raisonnables, en 2007-2008, les gardiens du crucifix se sont multipliés chez les libéraux de Jean Charest, les péquistes de Pauline Marois et, plus récemment, les libéraux de Philippe Couillard. Malgré la volée mangée par ces deux partis aux dernières élections, le nouveau gouvernement caquiste a d’abord gardé le cap, avant de changer d’idée, sans trop qu’on comprenne pourquoi. En octobre 2018, la nouvelle ministre de la Justice, Sonia LeBel, était pourtant convaincue d’une chose: «Qu’on ait un crucifix ou un autre signe symbolique qui, pour moi, fait partie de notre histoire, de notre patrimoine, ne vient pas nécessairement teinter les acteurs qui agissent dans l’enceinte où ce crucifix-là se trouve.» Le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, déclarait également: «La position historique de la CAQ est de maintenir le crucifix à cet endroit-là. Il s’agit d’un objet patrimonial.»
Je sais qu’on a beaucoup écrit sur ce crucifix depuis quinze ans. Et on commence à le savoir: Maurice Duplessis l’a fait installer au Salon vert lors de sa première session comme premier ministre, en octobre 1936, sans que personne ne soit vraiment fâché. Notre patrimoine était donc suspendu pour longtemps. Mais le grand coupable n’est peut-être pas Maurice Duplessis, père de toutes nos turpitudes. Retournons moins loin dans notre passé.
Jonathan Livernois est professeur de littérature, théâtre et cinéma à l’Université Laval. Il a récemment fait paraître La révolution dans l’ordre. Une histoire de duplessisme (Boréal, 2018).